Il n'est pas nécessaire que les sanctions soient expressément prévues par le texte instituant ou octroyant la subvention.
Le Conseil d’État rappelle, dans une décision du 13 octobre 2023, les conditions dans lesquelles une subvention accordée par l’État, en l’espèce par FranceAgriMer, peut être retirée ou réduite. La personne publique doit agir dans le cadre imposé pour tout retrait d’une décision individuelle, cadre restrictif en raison du caractère unilatéral et créateur de droits de l’acte.
Dans l’affaire présentée devant les Hauts magistrats, FranceAgriMer avait attribué en septembre 2013 à une exploitation une aide à l’investissement vitivinicole financée par le FEAGA d’environ 130 000 €, dont 65 000 € avaient été versés à titre d’avance. Une décision technique cadre du directeur général de FranceAgriMer du 19 février 2013 imposait notamment comme conditions de versement de la subvention la réalisation des travaux dans un délai de 2 ans à compter de la date de la notification, l’émission de la totalité des factures à la date limite de réalisation des travaux et le paiement de ces factures au plus tard dans un délai de 2 mois à compter de cette date limite. FranceAgriMer a par la suite constaté que les délais d’émission et d’acquittement des factures n’avaient pas été respectés : 7 factures avaient été émises après la date limite de réalisation des travaux et 8 règlements de facture avaient été effectués plus de 2 mois après cette dernière date. L’établissement a alors refusé de verser le solde de l’aide et demandé à l’exploitant le remboursement de l’avance avec 10 % de majoration. Cette décision a été censurée par la cour administrative d’appel.
Le retrait de la subvention conditionné à l’édiction de critères, et non de sanctions
Contrairement à cette dernière, le Conseil d’État confirme que FranceAgriMer a le droit de retirer la subvention ou d’en réduire le montant dès lors que les conditions posées pour son versement n’ont pas été respectées.
Cela présuppose que ces conditions aient été correctement prévues, c’est-à-dire selon l’une des 4 modalités listées par le Conseil d’État. Les critères peuvent soit découler des normes qui les régissent, soit être fixés par la personne publique dans sa décision d’octroi, soit faire l’objet d’une convention signée avec le bénéficiaire, soit découler implicitement mais nécessairement de l’objet même de la subvention. En l’espèce, les conditions de versement étaient établies par la décision technique cadre en vigueur en février 2013 qui s’appliquait donc à la décision individuelle d’octroi prise en septembre de la même année.
Les Hauts magistrats écartent l’argumentation consistant à souligner le manque de cohérence des critères énoncés et des sanctions en découlant. Les juges d’appel avaient en effet relevé que la décision technique du 19 février 2023 ne prévoyait pas de réduction ou de retrait en cas de violation des délais d’émission et d’acquittement des factures, soulignant même qu’en son article 8 intitulé « sanctions », ladite décision établissait une grille de réfaction pour d’autres irrégularités et restait muette sur celles opposées à l’exploitant. Ces faits n’ont pour le Conseil d’État, aucune incidence sur la faculté dont dispose la personne publique de réduire ou de retirer une subvention pour laquelle les conditions de versement n’ont pas été respectées. Cette prérogative résulte de la simple édiction de critères, sous réserve de les avoir régulièrement édictés, et ne nécessite pas, pour la mettre en œuvre, que les sanctions soient explicitées au surplus, que ce soit dans la décision technique cadre ou dans la décision individuelle d’octroi. En invalidant la décision de FranceAgriMer, la cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit.
Remarque : le Conseil d’État note par ailleurs que, bien que ces précisions ne soient pas explicites, la décision technique indiquait que le montant d’avance indûment perçu devait être remboursé au taux de 110 % et que le solde serait versé après la réalisation de la totalité des actions prévues et contrôle sur place de cette réalisation.
La présente décision fait ainsi la synthèse des avancées jurisprudentielles du Conseil d’État amorcées en 2016 à propos des modalités de réduction ou de retrait des subventions, mais cette fois-ci dans le domaine spécifique des subventions agricoles. En effet, le Conseil d’État avait posé les bases de son raisonnement, à propos de primes attribuées sous le régime de la PAC 2007-2013 (CE, 5 oct. 2016, n° 387375), en énonçant les modalités selon lesquelles les droits sont créés au bénéfice du demandeur. Il en avait ensuite, dans une décision relative à une subvention pour la recherche médicale, tiré les conséquences en précisant que les conditions d’attribution de la subvention devaient être fixées au plus tard à la date d’octroi de celle-ci (CE, 27 mai 2021, n°433660). Le retrait sans condition de délai a lui aussi été énoncé en 2021 à propos d’une subvention pour une opération d’urbanisme (CE, 4 oct. 2021, n° 438695).
La légalité du retrait conditionnée aux exigences de proportionnalité
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État rappelle en revanche que si FranceAgriMer est fondée à retirer une subvention ou à en réduire le montant à défaut pour le bénéficiaire d’avoir satisfait aux critères de versement, et ce sans que les sanctions encourues n’aient besoin d’être explicitement établies, cette prérogative doit être exercée de manière proportionnée.
Or il constate qu’en l’espèce, le retrait total de l’aide ne se justifiait pas. Les factures établies ou acquittées hors délai représentaient certes 27 % des dépenses d’investissement initialement prévues. Toutefois, lesdits investissements ont été entièrement réalisés et la grande majorité des retards constatés pour l’émission des factures ou leur règlement ne dépassait pas quelques jours ou quelques semaines. Lors du contrôle sur place, en outre, aucune irrégularité concernant ces factures n’a été relevée et il a été conclu que la société avait mené à terme son programme d’investissements conformément à la réglementation en vigueur.
Pour le Conseil d’État, ces irrégularités, bien que matérialisées, peuvent donner lieu à une réduction du montant de l’aide au prorata des dépenses éligibles concernées par ces factures mais en aucun cas au retrait total de celle-ci. Il enjoint donc à FranceAgriMer de calculer, dans un délai de 3 mois, le montant de la réduction correspondant aux factures émises ou acquittées hors délais, ainsi que le montant des pénalités dont cette réduction peut être assortie, et de les déduire de l’aide initialement allouée. Une compensation financière sera effectuée au bénéfice soit de l’exploitant, soit de FranceAgriMer, selon que cette somme est inférieure ou supérieure à l’avance versée. Gageons que ce calcul fera lui aussi l’objet d’un contentieux.
CE, 13 oct. 2023, n°462881 – Site EditionsLégislatives – 17/10/2023