Les tergiversations françaises en matière de prévention des risques justifient le recours à l'astreinte et la sollicitation du juge européen.
Le dossier contentieux des plantes rendues tolérantes aux herbicides (dites VRTH) par manipulation génétique vient de connaître un nouveau développement avec l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 8 novembre dernier. Si les juges du Palais-Royal ont logiquement tiré les conséquences de l’inexécution des injonctions qu’ils avaient prononcées en février 2020, ils se sont en revanche refusés à mettre un terme définitif au litige de façon autonome : deux questions préjudicielles ont en effet été posées à la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a constaté que le gouvernement n’avait pas satisfait aux obligations posées par le juge dans un précédent arrêt du 7 février 2020 (CE, 7 févr. 2020, n° 388649). Pas moins de quatre injonctions avaient été prononcées pour que les autorités administratives compétentes identifient les plantes dont l’utilisation est sécurisée depuis longtemps et celles qui, au contraire, ont reçu une autorisation de commercialisation alors que le procédé d’obtention par mutagenèse n’a pas été évalué, définissent les procédés d’évaluation de nature à prévenir les risques d’utilisation et fixent les conditions d’utilisation de ces variétés.
S’agissant de l’évaluation des risques inhérents à l’utilisation des VRTH, le gouvernement s’est borné dans les six mois impartis à imposer que les conseils prodigués aux exploitants agricoles soient traçables et tiennent compte des résistances aux adventices que peut provoquer la culture de ces plantes (D. n° 2020-1265, 16 oct.2020). Aucune évaluation n’a été mise en place pour examiner les risques que les VRTH peuvent potentiellement faire courir à la santé humaine et aux milieux aquatiques. C’est pourquoi, si l’Etat ne justifie pas dans les 3 mois de la mise en œuvre de telles analyses, une astreinte de 100.000 euros par semestre sera activée.
Le Conseil d’Etat inflige parallèlement une deuxième astreinte de 500 euros par jour de retard si le ministre de l’agriculture n’a pas été habilité, sous trois mois, à prescrire les conditions d’utilisation des VRTH obtenues par mutagenèse, conformément aux prescriptions de la directive européenne du 13 juin 2002. Le ministère n’est certes pas resté inerte puisqu’un projet d’ordonnance a été soumis à consultation publique en septembre dernier mais le texte n’était toujours adopté au moment où le Conseil d’Etat s’est prononcé, ce qui à l’évidence prohibait au ministre toute intervention.
S’agissant des deux dernières injonctions, restées elles aussi inexécutées dans les délais de 6 et 9 mois, le juge administratif préfère temporiser plutôt que de prononcer là encore des sanctions financières. Il renvoie en effet deux questions préjudicielles à la CJUE, les retards français étant largement imputables au positionnement de la Commission européenne. A la réception du projet de décret français identifiant les procédés de mutagenèse sécurisés de longue date et les variétés de plantes issues de nouvelles techniques de manipulation génétique, la Commission européenne a en effet manifesté son désaccord alors même que le texte se bornait à transcrire les injonctions du Conseil d’Etat, ce dernier ayant fait sienne l’analyse rendue par la Cour de justice de l’Union européenne en 2018, après une première sollicitation par la juridiction française (CE, 3 oct.2016, n°388649). La Cour avait alors qualifié d’OGM les organismes issus des techniques nouvelles de mutagénèse fondées sur la modification directe du génome, en justifiant cette solution par l’application du principe de précaution, les procédés les plus récents de mutagenèse insuffisamment évalués pouvant être à l’origine de risques importants pour la santé et l’environnement (CJUE, 25 juill. 2018, aff. C-528/16, Confédération paysanne et a.). Pour ce faire, l’ensemble des incidences du procédé organisé sur l’organisme doit être pris en considération dès lors « qu’elles sont susceptibles d’affecter la santé humaine ou l’environnement, que ces incidences proviennent de l’agent mutagène ou de la méthode de reconstitution de la plante ». La Commission mais aussi l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) persistent, pour leur part, à ne se référer qu’au processus par lequel le matériel génétique est modifié. La CJUE va donc devoir se prononcer de nouveau sur la méthodologie à employer.
La deuxième question peut paraître tout aussi redondante puisqu’elle porte sur l’ampleur des travaux à collationner pour identifier les techniques de mutagenèse suffisamment sécurisées : faut-il prendre en compte uniquement les cultures en plein champ des organismes obtenus par mutagénèse ou tous les travaux et publications de recherches, y compris ceux ne se rapportant pas à ces cultures ? Et, parmi ceux-ci, faut-il considérer uniquement ceux portant sur les risques pour la santé humaine et l’environnement ou tous les travaux de recherche ? Conformément à la logique de précaution, la CJUE avait opté pour le protocole le plus rigoureux, circonscrit aux seuls résultats obtenus pour les cultures en plein champ afin de ne pas diluer artificiellement les données. Méthodologie, là encore, remise en cause par la Commission. L’enjeu est de taille : puisque du périmètre retenu pour les nouveaux procédés de mutagenèse non sécurisés dépendra l’exigence de l’autorisation de mise sur le marché, requise pour tout nouvel OGM.
On comprend dès lors que le Conseil d’Etat ait préféré surseoir à statuer sur ces points qui sont finalement davantage révélateurs d’une querelle entre institutions européennes que des lacunes françaises.
CE, 8 nov. 2021, n°451264 – Site EditionsLégislatives 26/11/2021