Deux personnes physiques déclarées chacune au titre d'une entreprise individuelle agricole sont qualifiées comme étant en société de fait en raison de leur étroite collaboration et sont ainsi exclues de l'application du régime fiscal du micro-BA.
La société de fait (ou précisément société créée de fait) résulte du comportement de personnes qui collaborent très étroitement et qui n’ont pas formalisé leur association dans le cadre d’un pacte statutaire en écartant la création d’une société de droit disposant de la personnalité morale.
Le plus souvent, cette qualification résulte d’éléments de fait invoqués par des tiers.
Dans le cas d’espèce examiné par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 30 avril 2024, la qualification de société de fait résulte de l’initiative de l’administration fiscale. Celle-ci exigeait l’application d’un régime réel des bénéfices agricoles au niveau de la société de fait et excluait la mise en œuvre du régime du micro-BA par les entreprises individuelles.
Selon la technique du faisceau d’indices, les services fiscaux remettent en cause la réalité de deux entreprises individuelles autonomes pour les motifs suivants :
– les intéressés ont confié, par deux contrats agricoles, conclus le même jour, au même prestataire, la réalisation de prestations similaires, à savoir, notamment, des travaux d’épandage phytosanitaire et de rognage, la participation aux vendanges et le pressurage du raisin. La même personne assure l’entretien et l’exploitation des parcelles, qui forment un tout contigu, même si chacune a été divisée en deux, cette séparation étant simplement matérialisée par la présence d’affichettes ;
– les personnes visées ont signé avec une même société détenue par leurs époux, qui est leur unique client, les mêmes contrats pluriannuels d’exclusivité de vente de l’intégralité de leurs récoltes, donnant lieu à l’établissement, à la même date, de factures annuelles quasi-identiques ;
– elles ont recours au même transporteur pour assurer la livraison commune de leurs productions et stockent leurs récoltes à la même adresse. Les déclarations de récolte déposées par chacune des personnes révèlent, en outre, une similitude de production en volume par appellation, ainsi, d’ailleurs, qu’une abstention simultanée de récolte au titre de la campagne 2013-2014 ;
– enfin, les intéressés se partagent les recettes de l’exploitation, proportionnellement à la surface des parcelles qu’elles louent et il n’est pas contesté qu’elles prennent, ensemble, en charge les dépenses nécessaires à l’exploitation telles que l’achat des produits phytosanitaires, le carburant pour le matériel, l’assurance.
Selon ces éléments, il est considéré que les personnes concernées participent à la gestion d’une même exploitation, dont elles tirent des bénéfices similaires et dont elles sont susceptibles de subir les mêmes pertes.
Dans ces conditions, les juges d’appel confirment l’analyse de l’administration fiscale qui soutenait que les intéressés avaient, en termes d’apport, de gestion et de participation aux résultats d’une exploitation unique, constitué une société de fait. La circonstance selon laquelle les personnes concernées avaient des comptabilités distinctes, utilisaient des comptes bancaires séparés et commercialisaient leurs productions sous leur propre nom ne suffisait pas. Alors même que les récoltes auraient été vendues, certaines années, à des prix différents, les éléments précités confirment l’existence, entre elles, d’une telle société de fait.
Cette qualification de société de fait a pour conséquence que les personnes concernées sont exclues de l’application du régime du forfait agricole, désormais remplacé par le régime du micro-BA, et doivent faire application d’un régime réel agricole donnant lieu à une imposition supplémentaire au titre de l’impôt sur le revenu.
Rappelons que le plus souvent, ces régimes forfaitaires conduisent à une sous-évaluation du résultat fiscal et de ce fait une moindre imposition en comparaison de l’application d’un régime réel agricole qui par définition tient compte des réalités comptables. Dans le cas présent, le montant total des recettes excédait le plafond annuel du régime forfaitaire mis en œuvre (75 600 € TTC pour le régime du forfait agricole et désormais 120 000 € HT pour le régime du micro-BA).
Surtout, il faut rappeler que la législation fiscale exclut du régime micro-BA (du forfait agricole avant 2016) les sociétés agricoles relevant de l’impôt sur le revenu créées à compter du 1er janvier 1997 (CGI, art. 69 D). Cette mesure ne concerne pas les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) visés à l’article 71 du CGI (BOI-BA-REG-10-40) et les EARL unipersonnelles. Sur ce point, les commentaires de l’administration fiscale précisent au sein du BOFiP que cette exclusion du régime micro-BA concerne également les sociétés en participation et les sociétés créées de fait (BOI-BA-REG-15, 100).
CAA Lyon, 30 avr. 2024, n° 22LY03631 – Site EditionsLégislatives 12/06/2024