L'État qui omet de prévenir ou de faire cesser l'utilisation d'appellations d'origine protégées (AOP) ou d'indications géographiques protégées (IGP) pour désigner des produits fabriqués sur son territoire, et ne répondant pas au cahier des charges applicable, manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13 du règlement n° 1151/2012, y compris lorsque les produits sont destinés à être exportés vers des pays tiers à l'UE.
Des producteurs laitiers danois utilisaient les dénominations « Feta », « Feta danoise » et « fromage Feta danois » pour désigner des produits fabriqués à base de lait de vache, en dehors de l’aire géographique de l’AOP « Feta », ceux-ci étant, par la suite, exportés vers des pays tiers. La Commission européenne, à la suite du signalement des autorités grecques, a mis en demeure l’État danois de faire cesser ces agissements. En l’absence de réponse, la Commission a engagé un recours en manquement devant la CJUE en lui demandant de constater qu’en ayant omis de prévenir ou de faire arrêter l’utilisation de l’AOP « Feta », les autorités danoises ont manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires.
L’État danois estime que les pratiques, dont il ne nie par ailleurs pas l’existence, sont hors champ d’application du droit de l’Union et, plus particulièrement, de l’article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 en ce que les produits sont destinés à être exportés vers des pays tiers et non distribués sur le marché européen.
Pour rejeter l’argument de l’État danois, la Cour, s’appuyant sur une jurisprudence constante, fonde en premier lieur son raisonnement sur une appréciation littérale du texte.
Elle rappelle que l’article 13, § 1, a) du règlement (UE) n° 1151/2012 prévoit que « 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ». La Cour estime que l’emploi des termes « toute utilisation » n’exclut pas de cette interdiction l’utilisation d’une dénomination enregistrée pour désigner des produits non couverts par l’enregistrement qui sont fabriqués dans l’Union et destinés à être exportés vers des pays tiers. Aussi, l’article 13 § 3 du règlement prévoit que « Les États membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale visée au paragraphe 1 des AOP ou IGP qui sont produits ou commercialisés sur le territoire ». Selon la Cour, l’emploi in fine de la conjonction « ou » implique que cette obligation pèse également sur l’État membre s’agissant des produits fabriqués sur son territoire, peu important leur destination.
La Cour fonde, ensuite et de manière traditionnelle, son appréciation sur les objectifs poursuivis par la réglementation. Elle indique alors que les objectifs poursuivis par le règlement (UE) n° 1151/2012 sont inscrits à ses articles 1er à 4, ainsi qu’au considérant 18 de celui-ci. En conséquence, et conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les objectifs poursuivis sont de permettre une information légitime du consommateur sur les caractéristiques des produits permettant d’en garantir une certaine qualité tout en permettant aux opérateurs agricoles ayant consenti des efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus. La Cour considère en outre que bien que les consommateurs visés soient ceux de l’Union européenne comme le faisait valoir l’État danois, l’interdiction de l’utilisation de la dénomination « Feta » pour désigner des produits ne répondant pas au cahier des charges de l’appellation porte atteinte à l’objectif de protection des producteurs de l’Union européenne, et ce, même si les produits sont destinés à être exportés en dehors de l’Union.
La solution de la Cour n’a rien d’étonnant, en ce qu’elle fait perdurer la tradition protectionniste envers les indications géographiques de l’Union européenne.
CJUE, 14 juill. 2022, aff. C-159/20, Commission c / Danemark
Site EditionsLégislatives 15/09/2022