Contrats pluriannuels, prix garanti pour les matières premières agricoles, le rapport offre plusieurs pistes d'amélioration du dispositif EGAlim.
La mission de médiation et de conciliation chargée par le ministre de l’agriculture de dresser le bilan de la loi EGalim a rendu son rapport. Connu sous la dénomination de « Rapport Papin », du nom de son auteur ancien dirigeant de Super U, ce document fait la synthèse de l’audition d’une soixantaine de participants, fédérations agricoles, transformateurs, distributeurs et préconise des solutions à mettre en œuvre pour pouvoir influer favorablement sur les prochaines négociations commerciales. Celles qui se sont achevées le 1er mars n’ont en effet pas produit les effets escomptés sur le revenu des producteurs, à de rares exceptions.
Le rapport souligne les avancées de la loi EGalim, notamment sur la contractualisation et l’inversion de la construction du prix à partir d’indicateurs de coûts de production. Toutefois, malgré ces aménagements, le rapport de force est inversement proportionnel à la concentration des opérateurs. La grande distribution et les grandes entreprises sont organisées pour tirer le meilleur avantage de leur position. Les distributeurs et les transformateurs, en milieu de chaîne, parviennent également à tirer leur épingle du jeu. Les agriculteurs sont quant à eux dans une situation paradoxale. « Maillon faible de la filière », ils sont confrontés à une baisse de leurs revenus tout en étant enjoint à se tourner vers des pratiques de développement durable plus coûteuses en temps et en main-d’œuvre (bien-être animal, décarbonation).
Partant de ce constat, la mission de médiation recommande plusieurs pistes d’amélioration du cadre légal et réglementaire actuel. Elle identifie également les blocages structurels entre les acteurs de la chaîne (agriculteurs, transformateurs et distributeurs) et les bonnes pratiques susceptibles d’y mettre un terme.
Bâtir une relation contractuelle durable
Pour la mission de médiation, la clé de la garantie d’un revenu juste pour les agriculteurs réside dans le contrat « premier acheteur », celui conclu entre le producteur et l’industriel de première transformation. C’est pourquoi le rapport recommande de rendre sa conclusion obligatoire.
Il souhaite également mettre fin aux renégociations annuelles pour instituer des contrats pluriannuels de 3 ans renouvelables, voire 6 ans en cas d’investissements industriels importants. En amont (producteur/premier transformateur) comme en aval (transformateur/distributeur), une longue durée permettrait d’installer une relation commerciale durable dont l’intérêt mutuel résiderait dans une coopération plutôt que dans une opposition. Il faudra en passer par la loi pour poser ce cadre.
Le rapport Papin plaide en outre pour une redéfinition des missions du médiateur des relations commerciales agricoles. En cas de désaccord dans les relations commerciales, le code rural impose d’y recourir avant toute saisine du juge. Si la médiation échoue, les parties peuvent alors aller en justice. Cette phase n’a que peu d’effet pour le moment car le médiateur n’a pas les pouvoirs nécessaires pour trancher le conflit. Son rôle pourrait être renforcé en lui accordant une forme de proposition d’arbitrage.
Agir sur les éléments contractuels du prix
Des prix garantis
Pour les produits à forte composante agricole (matière première agricole et produit de première transformation telles la boulangerie ou la charcuterie), la mission de médiation recommande de prendre en compte automatiquement la variation du prix de la matière première agricole par le biais de clauses d’indexation. Celles-ci seraient présentes non seulement dans le premier contrat entre le producteur et le transformateur mais aussi tout au long de la chaîne contractuelle. Cette quote-part de matière première agricole deviendrait ainsi un élément non-négociable du contrat, indexé sur des indicateurs objectifs. Elle garantirait le prix payé à l’agriculteur en fonction de sa matière première. Cela impliquerait bien entendu de mentionner dans le contrat de base, voire sur les factures, le prix payé par le premier transformateur au producteur.
Des indicateurs de prix reconnus
Afin que chaque partie soit assurée de la transparence financière de la contractualisation, des indicateurs de prix objectifs et crédibles doivent être mis à disposition. Un audit privé visant à valider des indicateurs existants, tels les indicateurs de coûts de production interprofessionnels ou l’indicateur de France Agrimer, pourrait permettre de bâtir un tel système.
Parallèlement, la mission encourage la mise en place d’indicateurs anonymisés, fondés sur des informations confidentielles contractuelles collectées par un tiers de confiance, afin d’identifier les mécanismes de création de la valeur dans chaque filière. Une expérimentation est en cours pour la filière lait.
Des pénalités mesurées
La pratique des clauses de pénalités logistiques, notamment dans le secteur de la grande distribution alimentaire, déséquilibre les relations commerciales. Le rapport le constate en particulier dans le domaine des produits vivants où il pointe un manque de « discernement » dans l’application de ces sanctions financières. Le cadre défini en 2019 par la Commission d’examen des pratiques commerciales ne suffit pas puisqu’il est facultatif et peu mis en œuvre (CEPC, Recommandation n° 19-1 relative à un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques, 17 janv. 2019). Sans apporter de solution concrète à ce problème, le rapport mise sur la pluri-annualité de la contractualisation pour apaiser les relations au sein de la chaîne.
Se regrouper pour être plus solide
Afin de corriger le déséquilibre entre les exploitants agricoles et leurs interlocuteurs, le rapport encourage le regroupement via les organisations de producteur car les agriculteurs ne parlent pas d’une seule voix. En améliorant leur représentativité, ils pourront non seulement mieux faire valoir leurs intérêts lors des négociations mais aussi s’organiser hors du circuit habituel et s’émanciper de la sous-traitance.
Dans la même optique, les agriculteurs doivent être plus présents dans la gouvernance des coopératives agricoles afin que celles-ci mènent une politique conforme à leurs attentes et surtout rémunératrice.
Compléter le dispositif sur les promotions
La loi Egalim a institué un dispositif d’encadrement des ventes promotionnelles, dont les effets de bord ont été corrigés par la loi ASAP. Un nouvel aménagement est préconisé pour prendre en compte une forme de promotion jusqu’alors restée dans l’angle mort, le dégagement, qui consiste à déstocker à prix très bas les produits, notamment alimentaires. Ces opérations pourraient ainsi être soumises à l’autorisation des interprofessions et se limiter à la publicité en magasin à l’exclusion de tout démarchage par prospectus, publicité internet, affiches ou applications.
Reste à savoir quels éléments de ce rapport seront repris par le ministère de l’Agriculture. Certaines mesures, telle la pluri-annualité, ne pourront être mises en œuvre que par une loi. Si M. Papin plaide pour une intervention rapide pour pouvoir peser sur les négociations de 2022, il n’est pas certain que le calendrier gouvernemental coïncide avec ses attentes. Notons en outre que le communiqué de presse du ministère accompagnant la remise du rapport met particulièrement en exergue deux mesures : la réforme de la coopération agricole et le pouvoir d’arbitrage du médiateur des relations commerciales agricoles.
Mission de médiation et de conciliation, Rapport concernant le bilan de la loi EGalim et la nécessité de mieux rémunérer la chaîne de valeur agricole, mars 2021 – Site EditionsLégislatives 01/04/2020 – PR