Le principe jurisprudentiel de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est inséré dans le Code civil avec un champ d’application restreint par le législateur. L’exception de « pré-occupation » est par ailleurs étendue.
Entrée en vigueur le 17 avril 2024, la loi 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité aux enjeux actuels codifie le principe de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage tout en limitant son champ d’application.
Codification du principe
La loi du 15 avril 2024 ajoute, au sein des dispositions du Code civil consacrées à la responsabilité extracontractuelle, un nouveau chapitre intitulé « Les troubles anormaux de voisinage » composé de l’article 1253 qui reprend le principe jurisprudentiel selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Le principe d’une responsabilité sans faute, dégagé par la Cour de cassation, est maintenu dans la loi. Quatre critères doivent être satisfaits : l’existence d’une relation de voisinage, d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, d’un préjudice et d’un lien de causalité. La charge de la preuve pèse sur le voisin se prétendant victime.
L’anormalité du trouble est le critère le plus délicat à caractériser. En pratique, les juges procèdent à une appréciation concrète en prenant en compte les circonstances qui entourent chaque situation, telles que la nature du trouble, sa localisation, son intensité et sa fréquence. A notre avis, la codification ne devrait rien changer sous cet angle.
Restrictions du champ d’application
Le nouvel article 1253 du Code civil énumère les auteurs de trouble dont la responsabilité peut être engagée : le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs.
Même si la loi ne le précise pas, la lecture des travaux parlementaires laisse penser que cette liste est exhaustive. Ainsi, ne devrait plus pouvoir être engagée sur ce fondement la responsabilité des constructeurs ou entrepreneurs qui réalisent des travaux dans le bâtiment à l’origine des nuisances, consacrée par la jurisprudence au travers de la notion de « voisin occasionnel ». En cas de faute de ces derniers, leur responsabilité pourra toutefois être mise en œuvre sur le fondement du droit commun de la responsabilité.
Reprise et extension de l’exception de « pré-occupation »
Le droit positif prévoyait jusqu’à présent une exception à la possibilité de demander l’indemnisation d’un préjudice lié à un trouble anormal de voisinage lorsque les nuisances résultaient d’une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale, touristique, culturelle ou aéronautique préexistante à l’installation du voisin s’en plaignant, dès lors que l’activité en question s’exerçait en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et s’était poursuivie dans les mêmes conditions (CCH art. L 113-8).
Abrogeant l’article L 113-8, la loi nouvelle pose à son tour des limites à la responsabilité de plein droit de l’auteur du trouble de voisinage. Ainsi, ce dernier peut s’exonérer en prouvant que l’activité litigieuse satisfait trois critères cumulatifs :
– elle est antérieure à l’installation du demandeur, le nouveau texte précisant que l’installation s’entend de l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée ;
– elle est conforme aux lois et règlements en vigueur ;
– elle s’est poursuivie dans les mêmes conditions ou dans des conditions n’étant pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
Le législateur a donc élargi le champ d’application de l’exemption, qui s’applique à présent à toutes les activités, quelle qu’en soit la nature, et notamment qu’elle revête ou non un caractère « économique ». S’agissant des autres critères, la loi nouvelle ne devrait pas apporter de bouleversement.
En réponse aux préoccupations des agriculteurs, un régime spécifique aux activités agricoles a été consacré au nouvel article L 311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime. Ainsi, les agriculteurs qui remplissent les deux premiers critères d’exemption (antériorité et conformité aux lois et règlements) sont exonérés de toute responsabilité pour trouble anormal de voisinage lorsque la modification de leur activité résulte de la mise en conformité de cette activité aux lois et aux règlements ; de même, en présence d’une modification de la nature ou de l’intensité de l’activité, l’agriculteur peut se prévaloir de la cause exonératoire d’antériorité si cette modification n’est pas substantielle.
En l’absence de précision légale, l’appréciation du caractère substantiel des modifications relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges.
Loi 2024-346 du 15-4-2024 : JO 16 texte n° 4 – L’@ctualité en ligne, www .efl.fr 07/05/2024