Le 5 juin 2020, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, la Cour des comptes européenne a publié un rapport spécial consacré à l’influence de la Pac sur la biodiversité des terres agricoles. Pour les rapporteurs, le budget alloué à la sauvegarde de la biodiversité est surestimé et de nombreuses mesures « environnementales » sont inefficaces.
« La Pac a-t-elle contribué de manière positive à la préservation et à l’amélioration de la biodiversité ? » C’est la question à laquelle la Cour des comptes européenne souhaite répondre dans son rapport spécial, publiée le 5 juin 2020, et intitulé « Biodiversité des terres agricoles : la contribution de la Pac n’a pas permis d’enrayer le déclin » (1). Comme son titre l’indique, le suspens ne plane pas longtemps, le constat est sans appel, la politique agricole de l’Union européenne est jugée inefficace en matière de protection de la biodiversité.
Des populations d’oiseaux des champs et de papillons des prairies en déclin
Pour dresser ce constat, le rapport précise qu’en Europe, « l’abondance et la variété des espèces présentes sur les terres agricoles, la “biodiversité des terres agricoles”, sont en baisse depuis de nombreuses années ».
L’indice des populations d’oiseaux des champs, considéré « comme un bon indicateur de l’évolution de la biodiversité des terres agricoles », a diminué de 34 % depuis 1991 parmi la population de 39 espèces communes sur les terres agricoles. « Au cours de la même période, l’indice des populations d’oiseaux des forêts a augmenté de 0,1 %, ce qui semble indiquer que l’agriculture est un facteur important de perte de biodiversité », estime la Cour des comptes.
L’institution dresse un bilan similaire pour les papillons des prairies, qui réagissent rapidement à l’évolution des conditions environnementales. « Le nombre total de papillons de 17 espèces communes a diminué de 39 % depuis 1990, ce qui témoigne d’une perte considérable de biodiversité des prairies », déplore la Cour des comptes européenne. Elle estime que l’agriculture intensive « reste l’une des principales causes de la perte de biodiversité » et qu’elle entraîne « une diminution de l’abondance et la diversité de la végétation naturelle ».
Un budget « non fiable »
En plus de ces constatations de pertes de biodiversité, les auditeurs se sont penchés sur l’influence de la Pac sur l’état de la biodiversité. Après avoir rappelé la stratégie européenne en faveur de la biodiversité, le rapport précise que pour la période 2014-2020, la Commission a prévu de consacrer 8,1 % du budget de l’Union européenne (soit 86 milliards d’euros) à la biodiversité, 77 % (66 milliards d’euros) de ce montant provenant de la politique agricole commune (Pac). Mais la Cour des comptes estime que le suivi des dépenses de la Pac affectées à la biodiversité « n’est pas entièrement fondé ni fiable ». Ce budget lui semble même surestimé.
Des impacts difficiles à mesurer
Les auditeurs remarquent qu’il s’avère « difficile de mesurer les progrès accomplis », en matière de stratégie européenne en faveur de la biodiversité, notamment pour le secteur agricole. D’une part, car l’objectif agricole pour la biodiversité n’est pas « suffisamment réalisable et pertinent, et n’est pas lui-même quantifié, ce qui limite les possibilités de mesurer son degré de réalisation », note la Cour de comptes.
D’autre part, elle note qu’un rapport de la Commission européenne, publié en mars 2020, étudie l’impact de la Pac sur les habitats, les paysages et la biodiversité. « Il ressort de cette évaluation qu’il n’a pas été possible de réaliser une analyse d’impact globale en raison de l’absence de données de suivi adéquates », précise les auditeurs.
Les rapporteurs ont également relevé « un manque de coordination entre les politiques et les stratégies de l’Union européenne, ce qui se traduit notamment par une incapacité à enrayer la diminution de la diversité génétique ».
Des paiements directs sans impact mesurable sur la biodiversité
Les effets, sur la biodiversité des terres agricoles, des paiements directs de la Pac, qui s’élèvent à plus de 40 milliards d’euros et représentent 70 % des dépenses agricoles de l’Union européenne, ne sont pas toujours connus et quand ils le sont, ils semblent limités, selon la Cours de comptes.
Les autorités des États membres interrogés dans le cadre de ce rapport notent que « la grande majorité des régimes de paiements directs dans l’Union européenne n’ont pas d’impact direct mesurable sur la biodiversité des terres agricoles ».
« D’après les scientifiques, le soutien couplé facultatif peut avoir un impact négatif », ajoute la Cour des comptes (ce mécanisme lie environ 10 % du budget de l’Union européenne affecté aux paiements directs à la culture ou l’élevage d’espèces végétales ou animales spécifiques).
Le verdissement et la conditionnalité sous employés
De plus, le verdissement et la conditionnalité, « susceptibles d’améliorer la biodiversité », sont généralement « sous-employés », car ils sont souvent utilisés pour la mise en place « d’options à faible impact » sur la biodiversité.
Ainsi, le régime de sanctions liées à la conditionnalité n’a « pas d’incidence manifeste sur la biodiversité des terres agricoles » et le verdissement « n’a suscité des changements de pratiques agricoles que sur quelque 5 % de l’ensemble des terres agricoles de l’Union européenne ».
Certains sont même encore plus critiques puisqu’un tiers des autorités qui ont répondu à la Cour des comptes avaient le sentiment « qu’aucun des instruments de verdissement actuellement disponibles n’avait permis d’améliorer la biodiversité des terres agricoles ».
Des SIE « moins bénéfiques pour la biodiversité »
Concernant les SIE (surfaces d’intérêt écologique), la Cour des comptes rappelle que leurs potentiels effets positifs sur la biodiversité dépendent « des types de SIE appliqués et de la manière dont les agriculteurs les gèrent ».
D’après « les dernières informations publiées par la Commission européenne (2017), les options privilégiées par les agriculteurs allemands, polonais et roumains correspondent pour la plupart à celles mises en évidence par de nombreuses études scientifiques comme étant les moins bénéfiques pour la biodiversité des terres agricoles, notamment l’ensemencement de cultures fixant l’azote et de cultures dérobées ».
Des MAEC prometteuses
Du côté des MAEC (mesures agroenvironnementales), la Cour des comptes juge qu’avec Natura 2000 et les mesures relatives à l’agriculture biologique, elles font partie des mesures les plus susceptibles de préserver ou d’améliorer la biodiversité des terres agricoles. Cependant là encore, les mesures les moins exigeantes (vertes claires) concernent le plus grand nombre d’agriculteurs, alors qu’elles contribuent moins à la préservation de la biodiversité que les mesures plus exigeantes (vertes foncées).
La Cour des comptes souligne cependant que des MAEC « simples et efficaces de type plutôt “vert clair” telles que la réduction de l’intensité des pâturages, la limitation de l’utilisation d’engrais chimiques ou d’herbicides et l’interdiction du fauchage durant les périodes de nidification, bien qu’elles ne nécessitent pas beaucoup de temps et d’efforts de la part des agriculteurs, sont également susceptibles d’améliorer la biodiversité ». Dans l’ensemble, « les États membres n’ont recours qu’assez rarement à des mesures de développement rural à fort impact », résume la Cour des comptes européenne.
4 recommandations pour une Pac plus « verte »
Afin que la Pac devienne un instrument efficace dans la protection de la biodiversité, les auditeurs conseillent à la Commission européenne :
– D’améliorer la coordination et la conception de la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité pour l’après-2020, notamment en renforçant le suivi des dépenses ;
– De renforcer la contribution des paiements directs à la biodiversité des terres agricoles ;
– D’accroître la contribution du développement rural à la biodiversité des terres agricoles ;
– D’élaborer des indicateurs fiables permettant d’évaluer l’impact de la Pac sur la biodiversité des terres agricoles.
(1) Les auditeurs ont récolté des données grâce à un examen de données et de documents, notamment de documents scientifiques, stratégiques, législatifs, politiques, des entretiens avec des agents de cinq directions générales de la commission de l’Agence européenne pour l’environnement, ainsi qu’avec des représentants d’ONG, des visites dans cinq États membres (Chypre, Allemagne, Irlande, Pologne et Roumanie), des visites d’exploitations agricoles et des conversations avec 78 agriculteurs dans 14 États membres et une enquête réalisée auprès des autorités nationales et régionales de neuf autres États membres/régions
Site LaFranceAgricole – Actualités 09/06/2020