La qualification des cessions de matériel agricole en opération récurrente ou en recette exceptionnelle fait débat au sein des juridictions administratives.
Les plus-values professionnelles réalisées par les entreprises (entreprises individuelles ou sociétés de personnes) soumises à l’impôt sur le revenu et exerçant une activité agricole peuvent être totalement ou partiellement exonérées d’impôt lorsque les conditions suivantes sont réunies (CGI, art. 151 septies) :
– l’activité est exercée depuis au moins 5 ans ;
– le montant des recettes perçues par l’entreprise est inférieur à 450 000 €, l’exonération étant totale si ce montant est inférieur à 350 000 € et partielle entre 350 000 € et 450 000 €.
Ce régime de faveur s’applique également aux plus-values réalisées à l’occasion de la cession de matériels agricoles ou forestiers par des entreprises de travaux agricoles ou forestiers (ETA). Ces entreprises proposent, en effet, des prestations de services aux agriculteurs, aux éleveurs, aux entreprises agroalimentaires de première transformation et disposent, de ce fait, de matériels et de personnels adaptés à leur activité. L’administration précise toutefois que seules les entreprises exerçant à titre principal (plus de 50 % des recettes annuelles) l’activité d’entreprise de travaux agricoles (ETA) et pour le compte de tiers peuvent s’en prévaloir. Celles qui exercent concomitamment une activité d’entrepreneur de travaux agricoles ou forestiers et une autre activité ne peuvent bénéficier des dispositions de l’article 151 septies, III qu’à l’occasion de la cession des seuls matériels exclusivement affectés à l’activité d’entrepreneur de travaux agricoles ou forestiers.
Deux décisions divergentes du tribunal administratif de Paris et de la cour administrative d’appel de Douai concernant la qualification à accorder aux cessions de leur matériel agricole créent, à l’heure actuelle, une incertitude fiscale pour les ETA. Celles-ci peuvent en effet perdre le bénéfice de l’exonération de plus-values de l’article 151 septies lorsque le montant des cessions est intégré aux recettes perçues, conduisant ainsi à dépasser le seuil maximal fixé par le CGI.
Condition tenant à la nature des travaux agricoles et forestiers effectués
Le législateur a pris soin de lister les travaux agricoles et forestiers susceptibles d’ouvrir droit à exonération des plus-values professionnelles :
Travaux agricoles | Travaux forestiers |
Labours, préparation et entretien des sols de cultures | Préparation et entretien des sols |
Semis et plantations | Plantations et replantations |
Entretien et traitement des cultures et plantations | Exploitation des bois : abattage, ébranchage, élagage, éhouppage, travaux précédant ou suivant normalement ces opérations, notamment débroussaillement et nettoyage des coupes |
Récoltes | Travaux de façonnage, de conditionnement du bois, de sciage et de carbonisation effectués sur le parterre de la coupe |
Enlèvement jusqu’aux aires de chargement |
Condition tenant au matériel agricole et forestier utilisé
Constituent des matériels agricoles ou forestiers, les biens d’équipement qui sont exclusivement affectés à la réalisation de ces travaux. Sont, par conséquent, exclus :
– les éléments de l’actif immobilisé, autres que les biens d’équipement, qu’ils soient ou non nécessaires à l’exploitation : fonds de commerce, autres éléments incorporels, immeubles etc. ;
– les biens d’équipement non exclusivement affectés à la réalisation des travaux agricoles ou forestiers tels que le matériel de bureau ou l’outillage utilisé à la réparation des machines ;
– les biens utilisés pour la réalisation d’opérations ne revêtant pas le caractère de travaux agricoles ou forestiers au sens de l’article 41-0 A de l’annexe III au CGI.
Conditions tenant au montant des recettes perçues
Les plus-values réalisées sur cession de matériels agricoles ou forestiers inhérents aux travaux visés ci-dessus peuvent être partiellement ou totalement exonérées d’impôt si le montant des recettes annuelles réalisées par l’ETA ne dépasse pas le seuil de 450 000 €. Pour l’appréciation de ces recettes, il est fait abstraction des produits financiers ainsi que des recettes exceptionnelles, notamment celles provenant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé. Concernant les ETA se pose alors la question de savoir si la vente du matériel agricole, élément de l’actif immobilisé, constitue une opération récurrente s’inscrivant dans le modèle économique de l’ETA ou une opération qui sort de son activité courante et normale :
– dans le premier cas, le produit des ventes est réintégré dans les recettes annuelles à prendre en compte pour le calcul du plafond d’exonération fixé par l’article 151 septies du CGI. Ainsi en a jugé le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 2e sect. , 3e ch. , 24 oct. 2023, n° 2100713),
– dans le second, le produit des ventes constitue une recette exceptionnelle à ne pas intégrer aux recettes annuelles prises en compte pour le calcul du plafond d’exonération fixé par l’article 151 septies du CGI. Ainsi en a jugé la cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 4e ch., 26 oct. 2023, n° 22DA01564).
La cession de matériel agricole : une opération récurrente ?
Des associés de SARL, ayant opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes, ont été soumis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu à l’issue des opérations de vérification effectuées par l’administration fiscale. Cette dernière a, en effet, remis en cause le bénéfice de l’exonération d’imposition prévue à l’article 151 septies du CGI sur les plus-values ayant résulté de la cession de plusieurs matériels agricoles au cours de la période vérifiée dont s’était prévalue la SARL. Selon elle, la récurrence des ventes de matériel agricole opérées par la SARL, ainsi que l’importance des montants financiers par rapport au chiffre d’affaires réalisé, conduisaient à considérer les produits de ces cessions comme relevant de l’activité économique courante, et non comme des produits exceptionnels. De ce fait, ces montants devaient être réintégrés dans les recettes annuelles à prendre en compte pour le calcul du plafond d’exonération fixé par l’article 151 septies du CGI.
Les requérants se référaient, quant à eux, au plan comptable général classant le produit de ces ventes en produits exceptionnels. Le tribunal administratif de Paris n’a pas retenu leur argument. S’il n’est pas contesté que les plus-values réalisées lors des cessions mobilières devaient faire l’objet d’une inscription comptable en produit exceptionnel, cette formalité n’est à elle seule pas déterminante pour apprécier si ces plus-values se rapportent à une activité exceptionnelle de la société. S’appuyant sur l’objet social de la société ainsi inscrit dans les statuts : non seulement la réalisation de tous travaux agricoles et d’entretien d’espaces verts mais aussi « toutes autres prestations et opérations commerciales, industrielles, immobilières, financières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social », le tribunal estime que le renouvellement régulier du matériel relève de l’essence même de l’activité de l’entreprise et que les ventes récurrentes s’inscrivent dans son modèle économique. Du reste, la SARL reconnaît elle-même procéder de manière systématique au renouvellement de son matériel. Par suite, il juge que les plus-values provenant des ventes de matériel doivent être regardées comme des produits de son activité normale et courante.
La cession de matériel agricole : une recette exceptionnelle ?
Dans une affaire similaire, la cour administrative d’appel de Douai expose une tout autre étude de l’activité des ETA. Là encore, l’administration fiscale a considéré que le produit des cessions de matériel opérées par la SARL constituait non pas une recette exceptionnelle mais une recette récurrente se rattachant à son activité professionnelle normale et courante. Les juges d’appel n’ont pas suivi ce raisonnement. Si le produit des cessions de matériels s’inscrivait bien dans le cadre d’une opération de renouvellement, les charges courantes supportées par la SARL étaient couvertes par le produit des travaux agricoles. Par ailleurs, le montant global des cessions opérées variait de 45 000 à 550 000 € selon la nature des matériels cédés. Au regard de ces différents éléments, la cour a jugé que les cessions d’éléments de l’actif immobilisé en cause devaient être regardées comme ayant procédé d’une gestion patrimoniale des actifs de la société ne s’inscrivant pas dans le cadre de son activité normale et courante et constituant donc des recettes exceptionnelles.
Ces décisions divergentes traduisent l’imprécision de la doctrine fiscale qui ajoute à la loi et en livre une interprétation formelle au sens de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : « pour l’appréciation des seuils de recettes prévus à l’article 151 septies du CGI, il est fait abstraction des produits financiers (hormis le cas où ces produits constituent l’activité même de l’entreprise ou son activité prépondérante) et des recettes exceptionnelles, notamment celles provenant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé ». Considérer le produit de la cession du matériel agricole par l’ETA, bien que fluctuant d’une année sur l’autre, comme un produit courant se rattachant à l’activité professionnelle de la société, et non comme un produit exceptionnel conformément aux règles comptables, revient à le réintégrer dans les recettes annuelles imposables de la société à globaliser avec les recettes réalisées à titre personnel par l’associé devant être prises en compte pour l’application des seuils fixés par l’article 151 septies du CGI. Il est évident que la spécificité de l’activité de prestations de services des ETA nécessite de disposer en permanence d’un matériel en stock fiable imposant son renouvellement systématique, d’où des prix de cession conséquents du matériel concomitamment cédé (exemple : moissonneuse-batteuse au moins tous les 4 à 5 ans) qui majorent d’autant le montant des plus-values professionnelles réalisées. Est-ce à dire que ces opérations de renouvellement font partie intégrante de son activité courante ?
TA Paris, 24 oct. 2023, n° 2100713 – CAA Douai, 26 oct. 2023, n° 22DA01564
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