Le retournement de prairies permanentes doit être correctement évalué avant d'être autorisé.
La cour administrative de Lyon a annulé un arrêté du préfet de la Nièvre qui avait autorisé, en 2019, une EARL à retourner 54,89 hectares de prairies au sein de trois sites Natura 2000 sur le fondement d’une évaluation environnementale très lacunaire.
La juridiction lyonnaise conduit un raisonnement en deux temps pour finalement prendre le contrepied de la solution rendue par le tribunal dijonnais de première instance qui avait rejeté la demande d’annulation présentée par une association environnementale.
Une évaluation préalable indispensable
La cour vérifie, tout d’abord, la nécessité de réaliser une évaluation préalable au titre de son office de réformation ; ce réexamen était indispensable du fait même de l’appel, bien qu’il n’y ait pas eu discussion sur ce point.
La protection des sites Natura 2000, imposée aux États membres par la directive Habitats du 21 mai 1992, impose en effet la mise en œuvre de principe d’une évaluation préalable des projets et activités susceptibles de préjudicier à la conservation. Après s’être attiré les foudres du juge européen, les autorités françaises ont dû élargir substantiellement le champ d’application de l’évaluation qu’elles entendaient circonscrire initialement aux projets relevant d’un régime d’autorisation. L’évaluation est désormais systématiquement requise pour les projets soumis à autorisation administrative au titre d’une législation distincte de Natura 2000, mais peut l’être également pour d’autres projets inscrits sur une liste préfectorale conformément à une nomenclature nationale répertoriant 36 catégories) ou encore en application d’une « clause filet » par décision spécifique et au cas par cas du préfet. En l’espèce, le retournement des prairies permanentes ou temporaires de plus de 5 ans, situées en tout ou partie dans les trois sites Natura 2000 concernés, figurait, depuis 2013, sur la liste régionale établie par le préfet de la Nièvre. Par conséquent, l’évaluation s’imposait et l’entreprise agricole l’avait jointe à son dossier.
Une évaluation préalable irrégulière
L’examen de la teneur de l’étude, réalisé dans un second temps, s’avère en revanche, rédhibitoire. Il justifie l’annulation de l’autorisation et le désaveu des juges de première instance. L’évaluation ne répond pas aux exigences, logiquement majorées afin de s’assurer que les projets envisagés ne risquent pas d’altérer ni a fortiori de remettre en cause l’intégrité et la richesse écologique des sites.
Le manque de précision du document fourni ne permet pas de localiser exactement les parcelles agricoles au sein de chaque des sites Natura 2000 ; à l’exception de la tortue cistude d’Europe, le dossier ne mentionne la présence d’aucune espèce protégée alors que les sites bénéficient d’une protection en raison de l’avifaune présente.
Ces omissions — ou dissimulations — suscitent mécaniquement une lacune majeure : aucune analyse n’a été faite des effets temporaires, permanents, directs et indirects des retournements de prairies sur les habitats des espèces, celles-ci étant ignorées. La gravité des défaillances confine à la vacuité (puisque les impacts n’ont, en réalité, pas été examinés) et aurait pu susciter la suspension de l’autorisation en référé, avant même son annulation, laquelle peut sembler tardive en 2024 pour éviter l’irréparable.
En tout état de cause, les arguments de l’entreprise agricole relatifs à la faible surface des prairies retournées par rapport à la dimension des sites et à la mise en œuvre de procédés d’agriculture biologique ne sont pas de nature à remédier à des anomalies aussi grossières ; ces manquements substantiels ne sont pas « neutralisables » au sens de la jurisprudence Danthony. La cour lyonnaise rejette in fine la possibilité d’une régularisation en cours d’instance de l’autorisation préfectorale au titre de l’article L. 181-18 du code de l’environnement car ce mécanisme de sauvetage est circonscrit aux autorisations environnementales (telles que visées par les articles L. 181-1 et L. 181-2 du code de l’environnement), ce que n’est pas l’autorisation contestée.
CAA Lyon, 28 févr. 2024, n°20LY00675 – Site EditionsLégislatives 13/06/2024