Le Parlement s'adapte à la conjoncture inflationniste et revoit certains mécanismes mis en place par les précédentes lois après avoir audité les acteurs du monde agricole.
Le cycle EGAlim a débuté il y a plus de 4 ans, en 2018, date à laquelle le législateur est intervenu pour tenter de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (L. n°2018-938, 30 oct. 2018). Après trois ordonnances complémentaires et deux décrets d’application, le Parlement a revu sa copie fin 2021 avec une loi EGAlim 2 visant à corriger les effets de bord de la première mouture (L. n° 2021-1357, 18 oct. 2021). C’est aujourd’hui une loi EGAlim 3 qui vient d’être adoptée. L’objectif reste le même : assurer une plus juste rémunération aux agriculteurs et aux autres acteurs de la filière mais cette fois-ci en agissant sur les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
De nombreuses auditions ont été menées afin que cette nouvelle loi soit ancrée dans les pratiques agricoles. Les retours d’expérience sur les dispositifs existants, tels le relèvement du seuil de revente à perte ou la clause obligatoire de renégociation des prix ont été pris en compte. Pragmatisme et efficacité ont donc été mis en œuvre pour s’adapter à la nouvelle donne économique et avancer, à petit pas, vers un véritable équilibrage des relations commerciales à tous les échelons de la chaîne de production et de commercialisation alimentaire.
Assurer l’équilibre des négociations commerciales
Mettre fin à la délocalisation des négociations commerciales
La nouvelle loi EGAlim étend l’application des règles du code de commerce relatives à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et à d’autres pratiques prohibées à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français (C. com., art. L. 444-1 A nouv., créé par L. art. 1er).
L’objectif est de lutter contre la pratique des centrales d’achat et de référencement basées à l’étranger (Belgique, Suisse, Espagne, etc.). Ces structures, qui regroupent des distributeurs de nationalités différentes, dont des entreprises françaises, ne sont en effet pas soumises au droit français.
Or, en principe réservées à la négociation avec des grands groupes (Nestlé, Coca-Cola), ces centrales sont également en relation avec des PME ou des entreprises de taille intermédiaire françaises notamment, qui se trouvent donc en dehors du cadre français de négociation. Celles-ci ne peuvent par exemple pas bénéficier du dispositif de prise en compte de l’augmentation du coût des matières premières en cours d’exécution du contrat mis en place par les précédentes lois EGAlim.
A compter du 1er avril 2023, les chapitres Ier, II et III du titre IV du livre IV du code de commerce sont rendus d’ordre public. Aucun accord contractuel ne peut y déroger. Toutes les conventions fournisseur/acheteur s’y trouvent assujetties dès lors les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Les centrales d’achat à l’étranger sont ainsi incluses dans la sphère du droit français. La compétence des tribunaux français, sauf arbitrage, est en outre mise en place pour les litiges afférents à cette réglementation.
Le bloc de réglementation inclut les dispositions relatives :
– à la transparence dans la relation commerciale (C. com., art. L. 441-1 à L. 441-9) : CGV fournisseur/acheteur, convention fournisseur/distributeur, facturation, délais de paiement, pénalités logistiques ;
– aux pratiques commerciales déloyales entre entreprises (C. com., art. L. 442-1 à L. 442-11) : pratiques restrictives de concurrence, revente à perte, prix abusivement bas, etc. ;
– spécifiquement aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (C. com., art. L. 443-1 à L. 443-8) : interdiction des remises, rabais et ristournes, encadrement des CGV, annulation de commandes, convention fournisseur/distributeur.
Fluidifier les négociations sur le prix de la matière première agricole
L’un des apports majeurs de la loi EGAlim 2 est d’avoir créé un socle non négociable dans les tarifs fournisseurs/distributeurs portant sur la part du prix consacrée aux matières premières agricoles (MPA). Pour déterminer cette part, et que le distributeur sache ainsi à quoi il s’engage, 3 options étaient ouvertes au fournisseur : présenter dans ses CGV la part détaillée de chaque MPA, établir une présentation agrégée de ses données ou faire appel à un tiers indépendant qui certifie après les négociations de la véracité de la part de MPA retenue.
Cette troisième option est en pratique la plus utilisée (environ 80% des fournisseurs) car beaucoup de fournisseurs rechignent à communiquer leurs données économiques brutes aux différents distributeurs, ce que requièrent les deux premières options. Toutefois, la troisième ne donne pas entièrement satisfaction car elle comporte une part d’inconnue pour le distributeur pour lequel la part de MPA qui lui sera réellement opposée lors de l’établissement des nouveaux tarifs n’est connue qu’a posteriori, une fois les négociations terminées conclues et l’attestation du tiers indépendant fournie.
La loi EGAlim 3 rectifie donc cette option : elle ajoute à la phase de certification post-négociation une attestation établie par le même tiers indépendant, cette fois-ci communiquée au distributeur un mois maximum après l’envoi des CGV par le fournisseur (C. com., art. L. 441-1-1, mod. par L. art. 15). Cette attestation valide non seulement la part de l’évolution tarifaire résultant de l’augmentation du prix des MPA mais aussi la méthodologie employée par le fournisseur (date de référence de l’évolution des cours des intrants prise en compte, type de contrat d’achat des intrants agricoles utilisé par le fournisseur, etc.).
Remarque : ces dispositions ne sont pas applicables aux grossistes dont les conditions de négociation des CGV sont désormais régies par un article spécifique (C. com., art. L. 441-1-2 nouv., créé par L. art. 19).
Clarifier le flou juridique en cas d’échec des négociations commerciales
Les conventions entre fournisseur et distributeur sont négociées annuellement, un accord devant être en principe trouvé entre les parties avant le 1er mars (C. com. art. L. 441-3, IV). En pratique toutefois, de nombreuses négociations n’aboutissent pas dans ces délais, ce qui déséquilibre les relations à l’avantage du distributeur. Ce dernier peut continuer à s’approvisionner à l’ancien tarif et le fournisseur ne peut refuser d’honorer ses engagements, refus qui pourrait être qualifié de « rupture brutale des relations contractuelles » et engagerait sa responsabilité (C. com., art. L. 442-1, II).
La loi Egalim 3 met en place une expérimentation de 3 ans, soit jusqu’au 1er avril 2026, afin de pallier cette asymétrie (C. com., art. L. 443-8, mod. par L. art. 9). A défaut de convention conclue avant le 1er mars, le fournisseur peut reprendre la main en exerçant un choix :
– soit mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur. Cette décision ne pourra pas être assimilée à une rupture brutale de la relation commerciale ;
– soit demander l’application d’un préavis dont la durée tient compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. A défaut d’accord, ce préavis est de 18 mois (C. com., art. L. 442-1, II).
Les parties pourront saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou le médiateur des entreprises afin de conclure, sous son égide et avant le 1er avril, un accord fixant les conditions d’un préavis. En cas d’accord des parties, le prix convenu s’appliquera rétroactivement aux commandes passées à compter du 1er mars. En cas de désaccord, le fournisseur pourra mettre fin à la relation commerciale avec le distributeur, sans que la situation ne soit qualifiée de rupture brutale de la relation commerciale et sans préavis.
Par ailleurs, pour encourager des rounds de négociation justes et équilibrés entre fournisseurs et distributeurs, les sanctions pour non-respect de l’échéance du 1er mars sont renforcées pour les PGC. L’amende encourue passe de 75 000 € à 200 000 € pour une personne physique et de 375000 € à un million d’euros pour une personne morale. Ces nouveaux montants sont en outre doublés en cas de récidive dans les 2 ans (C. com., art. L. 441-6, mod. par L. art. 10).
Assurer une juste évolution juste des tarifs
Garantir l’application de la clause de révision automatique des prix
Le troisième round de la loi EGAlim corrige là encore un mécanisme intégré lors de la deuxième intervention législative, celui de la clause de révision automatique des prix des produits alimentaires obligatoirement insérée dans les contrats fournisseurs/distributeurs (C. com., art. L. 443-8, IV, mod. par L. art. 17).
Désormais, la variation des tarifs sera fonction de celle « des matières premières agricoles », et non de « la matière première agricole », formulation qui a laissé la possibilité aux distributeurs de n’appliquer la révision qu’à une seule matière première, celle qui ne varie pas ou peu (d’après les retours d’expérience).
Le législateur impose par ailleurs un délai maximal d’un mois au distributeur pour mettre en œuvre les évolutions tarifaires résultant du déclenchement de la clause de révision.
Circonscrire l’application de la clause de renégociation des prix
L’obligation d’intégrer une clause de renégociation des prix pour certains produits alimentaires dans les contrats d’une durée d’exécution de plus de 3 mois a été instaurée par la loi EGAlim, puis élargie à l’ensemble des produits alimentaires par la loi EGAlim 2.
La loi EGAlim 3 revient sur cette extension du champ d’application après avoir auditionné les acteurs des différentes filières (C. com. art. L. 441-8, mod. par L. art. 20). Dans certains cas, la clause s’avère inefficace, voire contre-productive. Les travaux sénatoriaux prennent l’exemple des contrats « à prix ferme » ou des contrats « à terme », utilisés dans le secteur des céréales ou des oléagineux notamment, qui permettent de fixer à une certaine date le prix d’une livraison qui n’aura lieu qu’ultérieurement afin d’éliminer les risques de marché et donner de la prévisibilité aux acteurs. La clause de renégociation va, dans ce cas, à l’encontre même du principe du contrat.
Le législateur autorise donc le ministre de l’agriculture à fixer, par arrêté une liste de produits agricoles et alimentaires pour lesquels la clause de renégociation ne sera pas imposée. La dérogation devra faire l’objet d’une demande motivée de l’interprofession représentative ou, à défaut, de l’organisation professionnelle.
Exempter certains contrats de l’obligation de détermination du prix
Lorsque le contrat ne comporte pas de prix déterminé, l’acheteur doit communiquer au producteur, avant le premier jour de la livraison, le prix qui sera payé.
Cette obligation, bien qu’adaptée pour donner des outils de négociation aux exploitants agricoles, ne correspond pas toujours à la réalité des pratiques contractuelles agricoles. Les contrats « à terme » sont par exemple bâtis sur 3 volets financiers : une partie du prix versée avant même la livraison (pour financer l’ensemencement des céréales, par exemple), une partie versée à la livraison et un complément de rémunération versé a posteriori, dont le montant dépend du cours des marchés à cette date. Le prix final ne peut jamais être déterminable à l’avance en raison de la variabilité de la troisième partie du prix après la livraison.
La loi EGAlim 3 exclut donc du champ de la détermination obligatoire du prix les contrats de vente comportant des stipulations justifiant de les qualifier de contrats financiers au sens du III de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier, ou comportant une indexation à de tels contrats ou des stipulations qui prévoient la conclusion d’un contrat financier pour la détermination du prix. Bénéficient également de cette dérogation les contrats conclus par les collecteurs de céréales (C. rur., art. L. 666-1) lorsqu’ils prévoient une indexation et en l’absence de contrat financier de référence (C. rur., art. L. 631-24, mod. par L. art. 21).
Prolonger le relèvement du SRP et l’encadrement des promotions
Mis en place depuis le 1er février 2019, le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) de 10% au bénéfice des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur devait prendre fin au 15 avril 2023. Il est prolongé de 2 ans, soit jusqu’au 15 avril 2025 (L. n°2020-1525, 7 déc. 2020, art. 125, I et VIII, mod. par L. art. 2).
Concernant les fruits et légumes, la logique est inversée. Le dispositif, qui était censé produire un effet vertueux, s’est en fait traduit dans cette filière par une baisse du revenu des producteurs. Désormais, le relèvement du SRP leur est inapplicable sauf arrêté dérogatoire du ministre de l’agriculture pris à la demande d’une interprofession. Sous le régime antérieur, le dispositif SRP + 10 était applicable à ces produits à moins qu’un arrêté, qui n’a jamais été pris, en décide autrement.
La loi EGAlim prolonge corrélativement le mécanisme d’encadrement en valeur (34 %) et en volume (25 %) des promotions qui devait lui aussi s’achever au 15 avril 2023. La reconduction est cette fois-ci prise pour 3 ans, soit jusqu’au 1er avril 2026 (L. n°2020-1525, 7 déc. 2020, art. 125, II et VIII, mod. par L. art. 2).
En outre, à compter du 1er mars 2024, le dispositif sera étendu à l’ensemble des PGC (L. n°2020-1525, 7 déc. 2020, art. 125, II et VIII, mod. par L. art. 7). Sont visés les produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation, dont la liste est fixée par décret (C. com. ,art. L. 441-4, I ; D. n°2019-1413, 19 déc. 2019).Le législateur cherche ainsi à rééquilibrer la situation : si l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires s’est révélé efficace, il a entraîné une augmentation significative des promotions sur les produits non alimentaires, notamment ceux des rayons « droguerie, parfumerie, hygiène » (DPH). L’élargissement de l’encadrement aux PGC permet de pallier cet effet de bord.
S’assurer de l’équité des pénalités logistiques
Instauré par la loi EGAlim 2, l’encadrement des pénalités logistiques infligées par un distributeur à son fournisseur est renforcé car les pratiques abusives perdurent (C. com., art. L. 441-17, mod. par L. art. 12).
Un plafonnement du montant de ces pénalités est instauré à hauteur de 2 % de la valeur des produits commandés. Ce seuil d’applique aux produits relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée, ce qui limite le montant de la pénalité en cas de commande globale, seule la valeur du produit concerné étant pris en compte. Le distributeur ne dispose plus, en outre, que d’une année pour appliquer la pénalité et doit justifier non seulement du manquement de son cocontractant mais aussi du préjudice subi.
Un dispositif exceptionnel de suspension des pénalités logistiques est par ailleurs créé. Cette suspension, limitée à 6 mois, pourra être mise en place par décret en Conseil d’État. Trois critères devront être réunis : une situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs et affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs.
Enfin, la transparence est désormais imposée : chaque distributeur se voit dans l’obligation de communiquer chaque année à la DGCCRF le montant des pénalités infligées à ses distributeurs et le montant effectivement perçu. La réciproque est exigée des fournisseurs en cas d’infliction de pénalités à leurs distributeurs. A défaut de s’y conformer, les parties s’exposent à une amende de 75000 € pour une personne physique et 500 000 € pour une personne morale, montants doublés en cas de réitération dans les 2 ans (C. com., art. L. 441-19, mod. par L. art. 14).
Remarque : les grossistes sont désormais exclus du dispositif d’encadrement des pénalités logistiques car ils agissent à la fois en tant que distributeur ou fournisseur, ce qui les place dans une situation ambiguë face à cette législation (C. com., art. L. 441-17 et L. 441-18, mod. par L. art. 12).