Selon la Cour de cassation, le descendant d'un exploitant agricole qui a participé partiellement à l'exploitation ne peut bénéficier que d'une créance de salaire différé partielle.
En l’espèce, un couple d’agriculteurs mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, décédés respectivement les 2 novembre 2012 et 13 mars 2015, ont laissé pour leur succéder huit enfants. Faute de parvenir à un partage amiable, six d’entre eux ont fait assigner les deux autres devant le tribunal par exploit d’huissier délivré le 4 avril 2016, en demandant l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession ainsi que la désignation d’un notaire pour y procéder. Suivant jugement du 23 janvier 2019, le tribunal a ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession des parents décédés, dit que l’un de fils était créancier sur la succession d’une créance de salaire différé liquidable sur la base d’un calcul retenant 51 mois et 3 jours, qu’un deuxième fils était créancier sur la succession d’une créance de salaire différé liquidable sur la base d’un calcul retenant 36 mois et qu’une fille était créancière sur la succession d’une créance de salaire différé liquidable sur la base d’un calcul retenant 40 mois et 3 jours, en précisant que les montants des créances de salaire différé seraient calculés conformément aux dispositions de l’article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime par le notaire désigné au jour du partage. Certains héritiers ont interjeté appel considérant notamment que leur sœur n’avait pas droit au paiement d’une créance de salaire différé.
Par un arrêt du 27 octobre 2020, la cour d’appel de Besançon a confirmé le jugement critiqué ayant considéré que l’une des filles est créancière sur la succession d’une créance de salaire différé liquidable sur la base d’un calcul retenant 40 mois et 3 jours et que les montants des créances de salaire différé des descendants seront calculés conformément aux dispositions de l’article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime par le notaire désigné au jour du partage.
Les héritiers ont rédigé un pourvoi contre cette décision en ce qu’elle reconnaissait la qualité de créancière sur la succession d’une créance de salaire différé au motif que le descendant d’un exploitant agricole qui a participé partiellement à l’exploitation ne peut bénéficier que d’une créance de salaire différé partielle. Ils ajoutent que les juges du fond ne pouvaient fixer la créance de salaire différé de leur sœur sur la base d’un calcul fondé sur 40 mois et 3 jours, bien qu’ils aient constaté par motifs expressément adoptés du jugement qu’il ressort de l’attestation de l’assurance retraite qu’elle produisait “qu’elle a été partiellement en activité, en qualité d’apprentie ou de salarié, ou au chômage au cours de la période ayant suivi sa majorité” pour laquelle elle demandait le bénéfice d’un salaire différé. Les auteurs du pourvoi ajoutent que leur sœur n’ayant eu qu’une activité partielle, elle ne pouvait bénéficier que d’une créance de salaire différé partielle sauf à violer l’article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime.
Par un arrêt du 12 octobre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article L. 321-13 précité, rappelle la règle selon laquelle « le descendant d’un exploitant agricole qui a participé partiellement à l’exploitation ne peut bénéficier que d’une créance de salaire différé partielle ». Or, la cour d’appel avait relevé qu’il ressortait d’une attestation de l’assurance retraite qu’au cours de la période considérée, la descendante avait été, soit partiellement en activité, en qualité d’apprentie ou de salariée, soit sans emploi. Ainsi, n’ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
De façon classique en la matière, il est constant que la participation n’a pas à être exclusive dès lors qu’elle n’est pas occasionnelle pour ouvrir droit à une créance de salaire différé. La Cour de cassation l’a rappelé dans un attendu de principe selon lequel « le descendant d’un exploitant agricole qui a participé partiellement à l’exploitation ne peut bénéficier que d’une créance de salaire différé partielle » dans un arrêt du 8 juillet 2009. Toutefois, elle a précisé que dans cette hypothèse, le montant de la créance n’est que partiel. Une telle solution semble justifiée par l’équité familiale. Elle avait été précédemment énoncée en 2006.
En pratique, tout comme pour la décision de principe de 2009, la Cour de cassation ne donne aucune piste sur les modalités pratiques et contraintes de calcul de la créance de salaire différé partielle afin d’éviter toute difficulté ultérieure. Cette critique avait déjà été formulée par la doctrine commentant la décision de 2009 et ces critiques ne peuvent qu’être formulées à nouveau. En effet, et dans la mesure où la preuve de participation incombe au demandeur, il ne devra pas seulement prouver que sa participation n’était pas occasionnelle, mais il devra établir la proportion du temps effectivement passé au service de l’exploitation, afin que le juge saisi puisse contrôler qu’il remplit effectivement les conditions requises pour bénéficier d’une telle créance.
Ainsi, à participation partielle à l’exploitation des parents, le descendant a droit à une créance partielle de salaire différé. Toutefois une question importante reste en suspens : comment calculer celle-ci ? L’arrêt du 12 octobre 2022 démontre que la solution de 2009, confirmée en 2014 n’est que partielle, elle aussi.
Cass. 1re civ., 12 oct. 2022, n° 21-12.644, n° 732 D – Site EditionsLégislatives 14/12/2022