Les employeurs craignent de voir leur responsabilité engagée en cas de contamination sur le lieu de travail. Le respect des fiches pratiques du ministère suffira-t-il à prouver qu'ils ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le risque, comme leur impose leur obligation de sécurité ? Avocats d'employeurs comme syndicalistes conseillent de documenter au maximum l'ensemble des mesures prises. Le point avec les Editions Législatives.
Obligation de résultat ou de moyen ?
L’employeur doit “assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs” (article L.4121-1 du code du travail) en respectant les neuf principes généraux de prévention (article L. 4121-2 du code du travail).
Jusqu’en 2015, les juges avaient une interprétation stricte de ces deux articles indissociables, ce qui se traduisait par une obligation de résultat. Mais le 25 novembre 2015, avec l’arrêt dit Air France, la chambre sociale de la Cour de cassation amorce un revirement de jurisprudence, qu’elle a confirmé depuis : un employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires respecte bien son obligation de sécurité. Les hauts magistrats font ainsi tendre l’obligation de résultat vers une obligation de moyens renforcée. Ils passent d’une logique de réparation (en cas d’accident, l’employeur peut presque systématiquement être condamné) à une logique de prévention (en cas d’accident, voyons ce qu’a fait l’employeur pour l’éviter).
Attention, cette obligation de moyen suppose de suivre à la lettre les articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail. Car en cas de problème, il appartiendra au juge d’apprécier si les mesures ont été suffisantes et ont respecté la hiérarchie des mesures de prévention – on commence par éviter les risques et on finit par les mesures de protection individuelle, en donnant les bonnes instructions aux travailleurs.
“Les fiches du ministère peuvent servir de base”
Comment savoir si l’employeur a bien fait tout son possible ? C’est aux juges de trancher. Depuis le début de la crise sanitaire, les autorités tentent de rassurer les employeurs. Par exemple, l’administration du travail une “obligation pour l’employeur de mettre en place les mesures qui ont été définies par les autorités”. De quelles mesures s’agit-il ? Le ministère a élaboré des fiches pratiques sectorielles et un protocole de déconfinement.
Mais attention, ces documents n’ont aucune valeur règlementaire. “Certes, mais ils sont quand même élaborés par le gouvernement sur la base des connaissances disponibles. Même s’ils n’ont pas de valeur juridique, ils servent de base”, indique une avocate. Un inspecteur du travail met tout de même en garde : “le guide de déconfinement ne fait pas référence au code du travail, mais les employeurs doivent apprendre à lire le code du travail parce que, heureusement, les tribunaux sont là pour appliquer le droit”.
Circonstance exceptionnelle
Les discours du ministère du travail ne rassurent donc pas les patrons. Ainsi, leurs organisations ont demandé de “limiter et clarifier le périmètre de cette obligation, pour éviter d’éventuelles mises en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur qui fait diligence
Préjudice d’anxiété
Au civil, la faute inexcusable peut être reconnue si le dirigeant avait ou aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires. Au pénal, la mise en danger de la vie d’autrui est reconnue en cas d’exposition directe et immédiate au risque de mort ou blessure grave par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (dans ce cas là, de l’obligation de sécurité imposée par le code du travail, donc). Il sera peut-être difficile d’établir avec certitude que c’est l’exposition professionnelle qui est à l’origine de la contamination.
Sans aller jusqu’à la faute inexcusable ou la mise en danger de la vie d’autrui, en cas de contamination, l’employeur est aussi exposé à la reconnaissance d’accident du travail ou maladie professionnelle, qui s’accompagne d’une hausse du taux de cotisation AT-MP. Des organisations syndicales telles Solidaires s’interrogent aussi sur la possible utilisation du préjudice d’anxiété. Ce préjudice est initialement reconnu aux travailleurs exposés à l’amiante qui ne sont pas malades mais s’inquiètent de le devenir. Récemment, la Cour de cassation a admis qu’il pouvait être reconnu à tout salarié qui justifie d’une exposition à “une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave” en cas de non-respect de l’obligation de sécurité de son employeur.
Le coronavirus, une “substance” ? “Il ne faut pas s’arrêter à cela. Les faits précèdent toujours le droit. La jurisprudence du préjudice d’anxiété est faite d’avancées et de reculs. À nous de donner les éléments qui permettront à l’institution judiciaire d’élargir les champs”, argumente Éric Beynel, porte-parole de Solidaires. “Il est important de documenter, pour avoir le maximum d’éléments pour la suite”, explique le syndicaliste. Finalement les avocates du cabinet Jeantet, qui accompagnent les employeurs, tiennent le même discours : “Il est important d’anticiper en documentant l’ensemble des mesures prises, au cas où elles seraient remises en question par un salarié contaminé”.
Dans le code du travail, les deux articles à (bien) appliquer
– Article L. 4121-1 du code du travail :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
– Article L. 4121-2 du code du travail :
L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
Editions Francis Lefebvre
Le 12/05/2020