Même si la crise sanitaire semble s’éloigner, les marchés agricoles subissent encore le contrecoup du confinement au niveau français, européen et mondial. Les opérateurs se félicitent que le rôle stratégique de l’agriculture ait été confirmé et que l’origine France semble à nouveau être une priorité pour les consommateurs.
Qualifiée de « tournant majeur pour l’histoire économique contemporaine » par Philippe Chalmin, économiste, l’épidémie de Covid-19 a touché de plein fouet de nombreux marchés agricoles. Les stigmates de la crise sanitaire se font toujours sentir.
Filières végétales
Céréales : maïs en souffrance à cause de l’éthanol américain
La chute vertigineuse des cours du baril de pétrole a entraîné dans son sillage l’éthanol (dont la consommation est intimement liée à l’essence), et donc de façon indirecte le sucre et le maïs. Aux États-Unis, pays qui mène la danse pour le marché du maïs, sur les 320 millions de tonnes (Mt) produites, 140 Mt sont destinées au bioéthanol.
En rythme de croisière, le pays fabrique pas moins d’un million de barils d’éthanol par jour. Mais la semaine du 20 avril 2020, cette production est tombée à moins de 600 000 barils par jour, réduisant automatiquement la consommation de maïs pour ce débouché. « La semaine dernière, c’était toutefois remonté à 836 000 barils par jour », note Arthur Portier, d’Agritel. Ce qui a permis à l’USDA (département américain à l’Agriculture), dans son dernier rapport, de projeter une reprise de la consommation intérieure aux États-Unis en maïs pour la prochaine campagne : 321 Mt (contre 305 Mt en 2019-2020).
La baisse de la consommation de maïs durant la crise va provoquer une hausse des stocks américains : 53,42 Mt en 2019-2020, ce qui engendrera un stock de début de campagne 2020-2021 très élevé. L’impact sur les prix est grand : la céréale américaine est passée de 151 $/t à Chicago en janvier 2020, à 121 $/t il y a quelques semaines. Aujourd’hui, elle est à 130 $/t.
Cette baisse des prix est d’autant plus importante que la récolte s’annonce record, à 406 Mt, les farmers ayant semé beaucoup de maïs, plus compétitif ces dernières années que le blé et le soja. « De ce fait, pour la campagne 2020-2021, l’USDA attend des stocks de maïs de 84,4 Mt, ce qui est colossal, informe le spécialiste d’Agritel.
L’orge brassicole, elle, a subi l’effondrement de la consommation de bière et donc du marché du malt. D’où une réduction de l’intérêt d’achats par les malteurs européens (1).
En revanche, le blé n’a pas été très impacté par la crise du coronavirus. Son cours a même progressé jusqu’à la fin du mois d’avril, du fait de la crainte de manquer de marchandise de la part de certains importateurs. « Reste à savoir quelle va être la situation financière de pays comme l’Égypte et l’Algérie, qui ont misé sur le tourisme et l’extraction du pétrole. Ils pourraient se trouver en difficulté et réduire leurs plans d’achats de blé », anticipe Arthur Portier.
Colza et biodiesel : évolution positive
Le marché du biodiesel a aussi largement souffert de la chute des prix du pétrole, entraînant à la baisse le marché des huiles. « 70 % du marché de l’huile de colza européen va dans l’industrie du biodiesel », chiffre Arthur Portier. Mais le pétrole étant peu cher, il y avait moins d’intérêt à intégrer ce biocarburant dans le mix énergétique, d’où la baisse de consommation des huiles en général.
Parallèlement, les exportations malaisiennes d’huile de palme ont régressé vers l’Inde et la Chine durant le confinement, ce qui a provoqué une baisse de 30 % des cours du palme, entraînant dans son sillage ceux du colza. Ces derniers sont passés de 420 €/t en janvier 2020 à 335 €/t au 16 mars. Toutefois, le colza a repris des couleurs puisqu’il est aujourd’hui à 375 €/t sur Euronext pour l’échéance d’août, du fait de fondamentaux relativement tendus : on s’attend à une récolte européenne de seulement 16,5 Mt cette année.
Dans les usines, si l’activité de trituration des graines n’a pas faibli et a permis d’approvisionner l’alimentation animale, l’effondrement de la consommation de carburant diesel a littéralement fermé le marché de l’ester de colza (lire l’encadré ci-contre).
Fruits et légumes : les difficultés s’éloignent
Dans une note publiée le 2 juin 2020, FranceAgriMer indique que l’activité dans les rayons de fruits et légumes frais a été supérieure à la normale durant le confinement. La demande a surtout été forte pour les produits faciles à conserver et à stocker (pomme, carotte, poireau, fruits et légumes surgelés et en conserve).
Les produits de saison (asperges, fraises) ont connu un début de campagne difficile, « qui se résorbe grâce à une communication spécifique et la mise en avant des produits d’origine française en distribution ».
La fermeture des marchés de plein air a toutefois entraîné des difficultés de débouchés, notamment pour la salade, entraînant des destructions au champ et des problèmes pour les maraîchers de ceintures vertes à écouler leurs volumes. Les producteurs de tomates et de concombres ont appelé le 11 juin à la « préférence de la consommation française ».
Sur la semaine du 1er au 7 juin, le surstock de jeunes bovins en fermes s’établit à 16 400 têtes par rapport à ce qui aurait dû être abattu, selon l’Institut de l’élevage. © Sébastien Champion
Filières animales
Le prix des vaches rebondit
Bien qu’un net regain des disponibilités soit observé en vaches allaitantes, « leurs prix, qui avaient chuté en début de confinement, ont repris très fortement », rapporte Philippe Chotteau, économiste à l’Idele. En semaine 23 (du 1er au 7 juin), le cours de la vache U affiche 4,48 €/kg, en hausse de 3 % par rapport à 2019. « Celui de la vache R, qui s’établit à 3,92 €/kg, n’avait plus atteint un niveau pareil depuis novembre 2015. » Du côté des réformes laitières, si les cours des vaches O et P progressent, « ils restent encore loin des niveaux des années passées ».
En jeunes bovins (JB), la situation est morose. À 3,68 et 3,84 €/kg équivalent carcasse, les cotations des JB R et U se replient respectivement de 2 et 3 % par rapport à 2019. En ferme, « le surstock s’établit, entre le 1er et le 7 juin, à 16 400 têtes par rapport à ce qui aurait dû être abattu », indique Philippe Chotteau. Pour les broutards, « la demande italienne tire les cours des animaux lourds ». Vers les pays tiers, après une forte chute des exportations de janvier à avril (- 46 %/2019), « les opérateurs indiquent une reprise progressive des flux entre les deux rives de la Méditerranée ».
Marchés laitiers en rémission
Le 7 juin, la Commission européenne faisait état d’un rebond des prix du beurre (+ 10 % depuis le 10 mai) et de la poudre maigre (+ 14 % depuis le 19 avril). Une embellie « indicative d’un certain retour à l’équilibre grâce aux premiers effets de l’aide au stockage privé », avance l’Idele.
En France, la collecte ne progresse plus d’une année sur l’autre depuis avril. Le programme de régulation de la production de l’interprofession (Cniel) explique notamment cette tendance. Près de 47 millions de litres de lait ont été « évités » en avril : 22 000 exploitations ont réduit leurs livraisons de 2 à 5 % sur un an. « L’enveloppe s’élève à 15,3 millions d’euros, note Thierry Roquefeuil, président du Cniel. Les paiements, à hauteur de 320 €/1 000 litres non produits, débuteront en juillet. » Malgré tout, la perturbation des débouchés perdure. La Coopération laitière espère que la baisse du pouvoir d’achat envisagée après la crise du Covid-19 ne viendra pas contrarier les contrats portant sur les marques de distributeurs, toujours en discussion.
Le cours de l’agneau à contretemps
À 6,56 €/kg de carcasse, le prix moyen pondéré de l’agneau a atteint des sommets en semaine 23. « C’est une cotation que l’on n’a pas connue depuis vingt ans », précisait Cassandre Matras, de l’Idele, le 11 juin lors d’un webinaire.
À Pâques, la cotation s’est effondrée, alors que le confinement venait de se mettre en place. Mais depuis, le cours n’a pas cessé de se redresser, contrairement à ce qui est observé habituellement. « On aurait pu s’attendre à une baisse à la fin du ramadan, mais avec le déconfinement et l’ouverture des restaurants, la demande a continué de tirer les prix. » Pour Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale ovine, les cours en hausse ne rattrapent pas la baisse d’avant-Pâques. « Il manquait 1 €/kg au moment où nous avions le plus d’agneaux à vendre », insiste-t-elle.
Signaux positifs pour le porc
Depuis un mois, la stabilité prévaut sur le cours du porc français. Le déconfinement semble de bon augure. « Depuis le 1er juin, nous constatons une nette hausse de l’activité d’abattage sur un an », souligne Pascal Le Duot, directeur du Marché du porc breton.
Toutefois, l’ascension du prix français est ralentie par les stocks d’animaux en élevage. « L’effet cumulé des fériés et de l’arrêt temporaire de deux abattoirs [dans les Côtes-d’Armor et le Loiret, NDLR] en raison de salariés atteints par le Covid-19 ont provoqué des retards d’abattage. La hausse des poids par rapport à l’an passé en témoigne. »
La volaille de chair en souffrance
Le secteur de la volaille de chair a particulièrement pâti de la fermeture de la restauration hors domicile. Le 18 mai, la Confédération française de l’aviculture évaluait les pertes du secteur à 250 millions d’euros, dont 100 M€ pour l’élevage et l’accouvage. Afin de remonter la pente, « l’origine des viandes doit être explicitement portée à la connaissance du consommateur et cela quels que soient les circuits de distribution et modes de consommation », souligne Patrick Pageard, président du Comité interprofessionnel de la dinde française.
Site LaFranceAgricole – Actualités 18/06/2020