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Covid-19 : adaptation des procédures administratives et juridictionnelles

Covid-19 : adaptation des procédures administratives et juridictionnelles

Plusieurs Ordonnances du 25 mars 2020, prise sur le fondement de l’habilitation conférée par la loi d’urgence du 23 mars 2020, adaptent l’organisation et le mode de fonctionnement des juridictions notamment administratives ainsi que les procédures de délivrance des autorisations administratives. Une loi organique du 30 mars 2020 vient compléter le dispositif rendu nécessaire par le confinement imposé depuis le 17 mars 2020.

Aménagement des procédures administratives

Suspension et report des délais d’instruction

L’Ordonnance n° 2020-306 suspend les délais, en cours à la date du 12 mars, à l’issue desquels une décision ou un accord peut intervenir, notamment de façon implicite. Leur computation redémarrera le 25 juin 2020 pour le reliquat restant à courir. Les délais d’instruction qui auraient dû commencer à courir pendant la période de crise sont plus radicalement reportés jusqu’à la fin de la période de crise : leur point de départ est fixé au 25 juin.

Cette disposition répond aux inquiétudes des services instructeurs des autorisations d’urbanisme, soucieux de ne pas voir augmenter à l’excès le nombre d’autorisations tacites et celui sans doute corrélatif des retraits dans les trois mois après constat des illégalités commises en raison des circonstances (C. urb., art. L. 424-5). La dématérialisation des procédures d’urbanisme, ayant été repoussée au 1er janvier 2022 (D. n° 2018-954, 5 nov. 2018 : JO, 6 nov.), le risque d’être submergé par des demandes adressées par voie électronique était limité. Pour autant, faute de texte contraire, les services craignaient de se trouver réellement en difficultés pour traiter les demandes déposées avant la déclaration d’urgence sanitaire et celles que les pétitionnaires auraient réussi à adresser au guichet administratif malgré le confinement. Par principe, le dépôt d’un dossier a priori complet auprès du guichet communal unique suffit, en effet, à enclencher l’instruction, y compris lorsque celle-ci n’est pas réalisée par la commune (C. urb., art. R. 423-19). En droit de l’urbanisme, au surplus, les délais pour décider sont historiquement brefs (de 1 à 3 mois pour des décisions courantes prises au titre des déclarations préalables de travaux ou d’aménager et des permis).

Une règle identique (suspension ou report) est retenue s’agissant des délais en cours ou à venir, impartis aux services instructeurs pour vérifier la complétude du dossier du pétitionnaire et solliciter éventuellement des pièces complémentaires ou consulter un autre service ou le public (art. 7).

La mise en parenthèse s’applique également à l’exercice des droits de préemption : il est donc impossible d’obtenir pendant la période de crise, la renonciation du titulaire de la prérogative de préemption qui conditionne pourtant la finalisation des acquisitions foncières. La pratique notariale courante fondée sur la mobilisation d’une double condition suspensive de non-préemption du bien et d’obtention d’une autorisation de construire, avant l’établissement de l’acte authentique de vente est donc particulièrement impactée (d’autant que les professionnels avertis attendent le plus souvent la purge des délais des recours contentieux et du délai de retrait…).

Au vu des réactions très négatives de l’ensemble des professionnels du secteur de l’immobilier et du bâtiment face à ces mesures de suspension et de report des délais d’instruction, le gouvernement envisage de modifier l’ordonnance dans les prochains jours (Localtis, Banque des territoires, Instruction décalée des autorisations d’urbanisme : le secteur de la construction et de l’aménagement craint l’onde de choc, 31 mars 2020).

Poursuite dématérialisée des enquêtes publiques

S’agissant, en revanche, des procédures d’enquête publique, le principe de suspension des délais s’applique de façon plus nuancée, lorsque des projets publics « stratégiques » sont concernés. L’autorité administrative compétente pour organiser l’enquête est, en effet, autorisée à maintenir la procédure en cours ou sa programmation initiale, en adaptant ses modalités dès lors que le retard dû à son interruption ou son report est susceptible d’entraîner des « conséquences difficilement réparables lors de la réalisation des projets présentant un intérêt national et un caractère urgent ». Les projets concernés ne sont pas identifiés de façon très précise, mais il ne fait guère de doute que ceux des collectivités sont exclus par les critères cumulatifs formulés par l’ordonnance.

La dématérialisation constitue logiquement la solution opérationnelle retenue par l’ordonnance, puisque les administrés ne sont plus en mesure de se déplacer pour consulter le dossier d’enquête et consigner leurs avis et observations. Une enquête publique en cours au 12 mars peut donc se poursuivre de manière exclusivement électronique, en adaptant au besoin sa durée si une interruption a, par la force des choses, été subie. Les enquêtes devant se dérouler pendant la période de crise sanitaire sont d’emblée dématérialisées ; si leur durée excède la période de crise, il reste néanmoins possible de revenir aux modalités de droit commun pour la durée restant à courir (art. 12).

Sécurisation relative des autorisations obtenues

L’Ordonnance fait en sorte d’éviter aux administrés déjà titulaires d’autorisations de subir les conséquences de l’état d’urgence sanitaire. Toutefois, la rédaction du texte gouvernemental n’est pas aussi sécurisante qu’attendue.

Ainsi, l’article 2 dispose que les actes, recours, formalités, notifications ou publications prescrits par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption ou désistement d’office, qui auraient dû être accomplis pendant la période de crise seront réputés avoir été faits à temps s’ils sont effectués dans un délai maximum de 2 mois après la fin de la période, soit au plus tard le 25 août 2020. La notification des recours exercés contre des autorisations d’urbanisme qui conditionnent la recevabilité de la requête pourra donc être effectuée plus tardivement (C. urb., art. R. 600-1). En revanche, les bénéficiaires d’autorisations, dans l’impossibilité d’afficher sur le terrain, du fait du confinement, ne semblent pas concernés par l’ordonnance. L’affichage est déterminant de la computation du délai de recours (C. urb., art. R. 424-15) sans être la condition d’opposabilité aux tiers de l’acte. Etre empêché d’y procéder ouvre aux adversaires des projets des possibilités contentieuses d’autant plus importantes dans le temps qu’elles se conjuguent avec le report des obligations de notification et du dépôt des requêtes.

Les titulaires d’autorisations administratives dont le terme vient à échéance au cours de la période de crise (après le 12 mars) bénéficient, néanmoins, d’une prorogation provisoire de plein droit jusqu’à 2 mois après la fin de la période (art. 3), donc jusqu’au 24 août 2020. Les bénéficiaires d’autorisations d’urbanisme qui doivent solliciter la prorogation en principe deux mois avant expiration du délai de validité (C. urb., art. R. 424-17, al. 1er) voient donc leurs droits préservés afin de pouvoir sereinement initier la procédure adéquate (C. urb., art. R. 424-21 à R. 424-23). L’Ordonnance semble néanmoins avoir oublié ceux d’entre eux qui avaient interrompu leur chantier avant la crise et risquent de subir la caducité de l’autorisation pour cessation des travaux pendant plus d’un an (C. urb., art. R. 424-17, al. 2). Les difficultés pour les entreprises d’accomplir des actes suffisamment significatifs d’une reprise des travaux pendant le confinement et lors d’un retour progressif à la normale sont pourtant bien réelles. 90 % des chantiers ont en effet été mis à l’arrêt depuis l’édiction du confinement. La publication, le 2 avril, d’un guide officiel de préconisations pour assurer la sécurité sanitaire sur les chantiers du BTP, par l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics devrait toutefois faciliter la relance de l’activité.

Moratoire ajusté pour l’exécution imposée de travaux, la réalisation de contrôles et sanctions administratives

Les personnes à qui l’administration avait imposé des contrôles ou des travaux de mise en conformité dans des délais qui n’ont pas expiré avant le 12 mars ou qui devaient commencer à courir pendant la période de crise, n’ont pas à redouter de sanctions financières ni de poursuites : ces délais font systématiquement l’objet d’un moratoire jusqu’à la fin de la période de crise (art. 8). Peuvent notamment en bénéficier les constructeurs à qui les autorités administratives ont enjoint de respecter l’autorisation octroyée (C. urb., art. L.481-1).

En revanche, un Décret du 1er avril 2020 déroge, conformément à l’article 9 de l’Ordonnance, au principe de report s’agissant de l’application des mesures destinées plus directement à protéger l’environnement, la santé et la salubrité publique. Les délais imposés aux exploitants des installations classées au titre de mises en demeure de se conformer aux prescriptions ne sont ni suspendus ni reportés. Il en est de même pour les délais de réalisation des prescriptions applicables en matière de déchets et d’ouvrages hydrauliques, les mesures de compensation écologique imposées au titre de la police des ICPE et de la police de l’eau ou encore des dérogations à l’interdiction de destruction des espèces protégées (D. n° 2020-383, 1er avr. 2020, art. 1er). Les espoirs des exploitants concernés, à la lecture de l’Ordonnance du 25 mars, n’auront donc été satisfaits que pendant un délai très bref.

Adaptation des procédures juridictionnelles

L’Ordonnance n° 2020-305 constitue le volet juridictionnel du dispositif d’adaptation des pouvoirs publics pendant la crise sanitaire. Au-delà de l’aménagement des délais de recours par la prorogation pure et simple, l’organisation et la procédure juridictionnelle ont également été considérées comme une nécessité au moins pendant l’état d’urgence sanitaire du 24 mars au 24 mai 2020 (art. 2).

Prorogation et prolongation des délais de recours

Procédant par une technique complexe, les Ordonnances (l’article 15 de l’Ordonnance n° 2020-305 renvoie à l’article 2 de l’Ordonnance n° 2020-306), prévoient la prorogation des délais de recours devant expirer sur la période courant du 12 mars au 24 juin. L’irrecevabilité ne pourra pas être opposée au requérant empêché d’exercer un recours du fait des mesures de crise dès lors que le juge est saisi dans un délai maximal de 2 mois après la fin de la période de crise, donc, au plus tard, le 25 août 2020. L’effet rétroactif de l’ordonnance permettra également d’admettre des recours ayant pourtant expiré entre le 12 et le 23 mars. Les instructions dont la clôture avait été fixée entre le 12 mars et le 24 mai sont, pour leur part, prolongées jusqu’au 23 juin ; la fourniture d’une pièce, la production d’un mémoire peuvent être effectuées jusqu’au 23 août 2020.

Il reste bien entendu possible de saisir valablement les juridictions administratives pendant la période de crise sanitaire, quel que soit leur niveau (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et Conseil d’Etat) et le type de recours concerné, y compris une QPC. Une Loi Organique du 30 mars 2020 prévoit, par conséquent la suspension des délais applicables pour examiner les conditions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et, pour ce dernier, en examiner le bien-fondé : les trois mois impartis pour chacune des phases du processus sont suspendus jusqu’au 30 juin (L. n° 2020-365, 30 mars 2020, art. unique : JO, 31 mars) sans pour autant empêcher le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation de procéder au renvoi ni prohiber au Conseil constitutionnel de trancher.

Organisation assouplie des juridictions

Pour assurer la continuité du service public juridictionnel, il est indispensable que des magistrats soient opérationnels en nombre suffisant. C’est pourquoi, l’Ordonnance autorise des « échanges » de magistrats entre tribunaux et cours d’appels pour compléter les juridictions qui subissent l’empêchement de leurs membres ; l’appel à des magistrats honoraires est également prévu (art. 3). La désignation des magistrats statuant en tant que juge unique, notamment en matière d’ordonnances de référé, est en outre facilitée, le grade de premier conseiller n’est plus requis (art. 4).

Déroulement dérogatoire de la procédure juridictionnelle

Au-delà de la possibilité de communiquer des pièces, actes et avis aux parties par tout moyen (art. 5), l’Ordonnance réaménage de façon substantielle l’audience. Des adaptations telles que la limitation du nombre des personnes présentes (voire l’exclusion du public), le déroulement de l’audience à distance (par voie audiovisuelle ou téléphonique pour les parties non équipées) et même la dispense accordée au rapporteur d’exposer des conclusions à l’audience peuvent être décidées par le président de juridiction (art. 6, art. 7, art. 8) afin de tenir compte des difficultés créées par le confinement. Pour autant, il reste impératif de veiller au caractère contradictoire des débats et d’assurer les droits de la défense. Ainsi les parties doivent, malgré les circonstances, être informées du sens des conclusions du rapporteur avant l’audience (CJA, art. R. 711-3) et conservent la possibilité de présenter leurs observations après l’exposé du rapporteur (CJA, art. R. 732-1), l’ordonnance permettant simplement la communication des pièces par tout moyen (art. 5, préc.).

L’audience peut être en revanche, purement et simplement supprimée en matière de référé, par ordonnance motivée (art. 9).

Sont également admises la signature de la décision par le seul président de la formation de jugement (art. 12) et sa notification exclusive au conseil de chacune des parties (art. 13).

  1. n° 2020-290, 23 mars 2020 : JO, 24 mars

Ord. n° 2020-305, 25 mars 2020 : JO, 26 mars

Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020 : JO, 26 mars

  1. org. n° 2020-365, 30 mars 2020 : JO, 31 mars

Cons. const., déc. n° 2020-799 DC, 26 mars 2020 : JO, 31 mars

  1. n° 2020-383, 1er avr. 2020 : JO, 2 avr.

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