L’acte de production représente une part importante du bilan environnemental des entreprises du secteur laitier, justifiant l’intérêt des acteurs de la filière pour décarboner l’amont. En parallèle se pose la question de la rémunération du carbone et des services environnementaux.
Lors de la troisième édition de la journée des organisations de producteurs (OP) de lait, qui s’est tenue le 4 juin 2024 à Paris, une table-ronde a été dédiée à la décarbonation de la filière. La question de la valeur du carbone et des services environnementaux, ainsi que de leurs méthodes de comptabilité a rapidement été soulevée, retenant l’attention des représentants de la filière.
En effet, lorsque les entreprises du secteur agroalimentaire, laiterie ou distributeur par exemple, réalisent leur bilan carbone, le Scope 3 (1), obligatoire à déclarer, représente 95 % de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est-à-dire que la grande majorité de leur empreinte carbone provient des émissions liées à la production agricole en amont.
« C’est ce qui amène les entreprises du secteur à s’intéresser à ce qui se passe au niveau des exploitations, à la comptabilité carbone des activités agricoles », explique Jean-Baptiste Dollé, chef du service de l’environnement à l’Institut de l’élevage (Idele).
Des engagements entre producteurs et industriels
À titre d’exemple, les éleveurs de l’APBO, l’organisation des producteurs de l’Ouest du groupe Bel, se sont engagés dans un parcours carbone. Obligatoire pour tous les adhérents, il inclut deux jours de formation pour déterminer des leviers d’action afin d’améliorer son bilan carbone, ainsi que la réalisation du diagnostic CAP’2ER de niveau 2, qui sera effectué à nouveau cinq ans après.
« En plus du parcours carbone, on a permis à tous ceux qui le voulaient d’émarger à France Carbone Agri », indique Frédéric Dorilleau, le président de l’OP, pour permettre la valorisation de leurs pratiques en crédits carbone. Selon lui, au-delà des prix et des volumes de lait produit, cette dimension de services doit aussi être rémunérée. Il s’agit d’une « plus-value qui fait partie intégrante des négociations que l’on doit avoir ».
« Comprendre où va l’argent »
Ghislain de Viron, président du collège des producteurs à la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait), souligne par ailleurs l’importance de trouver des incitations et des motivations pour les éleveurs. « Finalement, la vraie question, c’est de savoir si ces pratiques plus respectueuses ont de la valeur. Et si elles ont de la valeur, qui est prêt à payer cette valeur ? », résume-t-il.
Cependant, le sujet de la valorisation par des crédits carbone reste complexe. « C’est aussi un sujet de sécurité de comprendre où va l’argent, et la valeur incluse dans les contrats », avance Jérémie Wainstain, fondateur de la société Carbon Maps. Fonctionner avec des crédits carbone ouvre à un risque de captation de la valeur par d’autres.
Ghislain de Viron abdonde en ce sens. « Valoriser les efforts fait par la filière, au sein de la filière est plus vertueux. » Un point de vue également partagé par le président de l’APBO, Frédéric Dorilleau.
Pourtant, le fondateur de Carbon Maps soulève un point de vigilance. « Dans 10 ans, tout le monde fera de la comptabilité environnementale […], une grosse partie du modèle économique de l’agriculture sera des sujets environnementaux. » Il identifie dès à présent, une pression bancaire, avec l’apparition de prêts bonifiés.
Les modes de valorisation des services environnementaux et du carbone vont nécessiter la mise en place de comptabilités très précises, « il faut vraiment trouver les bons compromis méthodologiques », selon Jean-Baptiste Dollé. Il s’agit d’objectiver des indicateurs afin qu’ils puissent être introduits sous forme d’objectifs dans la rémunération. « Nous sommes au début d’un casse-tête qui peut devenir très complexe et très coûteux », déclare-t-il.
Deux cadres européens en réflexion
À l’échelle européenne, la Commission étudie deux perspectives distinctes, explique Jean-Baptiste Dollé. Un premier système de « certification et rémunération des absorptions carbone », qui permettrait à l’activité agricole de revendre des crédits carbone sur le marché, lorsqu’elle en stocke.
La Commission travaille également sur un « système d’échanges de quotas », pour compenser les émissions de carbone. Ainsi, une taxe sur les émissions permettrait de financer les absorptions de carbone.
À noter que pour l’instant en France, les crédits carbone vendus par le biais du Label Bas Carbone intègrent les émissions de protoxyde d’azote et celles de méthane, ce qui ne serait pas le cas dans le cadre réfléchi par la Commission européenne. « Une double peine pour le secteur de l’élevage », qui risquerait d’être davantage taxé, explique Jean-Baptiste Dollé, relevant que le méthane représente 50 % des émissions de GES d’une exploitation de polyculture-élevage.
(1) Le Scope 3 couvre les catégories d’émissions de GES associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur.
La stratégie bas carbone de la filière laitière
Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, la filière laitière s’est engagée à réduire de 18 % les émissions de GES du cheptel laitier entre 2020 et 2030, soit 6,57 millions de tonnes de CO².
Site LaFranceAgricole – Actualités 12/06/2024