Selon la Cour de cassation, si le médecin du travail mentionne expressément sur l’avis d’inaptitude d’un salarié que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, son employeur peut le licencier pour inaptitude, sans avoir préalablement à rechercher et à lui proposer des postes de reclassement.
L’employeur peut rompre le contrat de travail d’un salarié s’il justifie de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (C. trav. art. L 1226-2-1 pour l’inaptitude résultant d’un accident ou d’une maladie non professionnels ; C. trav. art. L 1226-12 et L 1226-20 pour l’inaptitude résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle).
L’employeur est alors dispensé de son obligation de rechercher et de proposer au salarié inapte des postes de reclassement.
Par un arrêt du 12 juin 2024, la Cour de cassation continue de préciser les cas d’application de cette dispense d’obligation de reclassement.
Si l’avis d’inaptitude précise que son état de santé s’oppose à tout reclassement dans l’emploi…
En l’espèce, à l’issue d’une visite médicale de reprise, un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail. Celui-ci précise expressément sur son avis que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi », et non dans « un » emploi, comme le prévoit l’article L 1226-2-1 du Code du travail. Le salarié licencié pour inaptitude saisit la juridiction prud’homale afin que la rupture de son contrat de travail soit jugée sans cause réelle et sérieuse au motif que son employeur n’aurait pas rempli ses obligations en ne cherchant pas à le reclasser avant son licenciement.
La cour d’appel fait droit à sa demande, jugeant que l’employeur n’a procédé à aucune recherche de reclassement, alors que l’avis du médecin du travail n’était pas de nature à l’exonérer de son obligation à cet égard. Selon elle, cet avis ne mentionne l’impossibilité de reclassement que dans l’emploi, et non dans tout emploi. Selon les juges du fond, la mention de l’emploi, qui tend à viser l’emploi occupé précédemment, ne pourrait pas être assimilée à celle d’un emploi, qui suggère la référence à une généralité d’emplois. Un salarié pourrait, en effet, être inapte à un type d’emploi sans l’être nécessairement à tout emploi, sauf indication en ce sens du médecin du travail, inexistante en l’espèce.
L’employeur se pourvoit en cassation, arguant que le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de travail ainsi qu’à tout emploi de l’entreprise et l’a dispensé de rechercher un reclassement en raison de l’état de santé du salarié. À l’appui de son pourvoi, il se prévaut d’un courriel daté du même jour que l’avis d’inaptitude par lequel le médecin du travail l’a informé de ce qu’il avait statué, en ce qui concerne le salarié, par une inaptitude définitive à son poste de nettoyage avec impossibilité de reclassement dans l’emploi. Le médecin lui a également précisé que cette décision le relevait de l’obligation de rechercher un reclassement professionnel et que, sauf élément contraire, le salarié devrait faire l’objet d’un licenciement.
… un salarié peut être licencié pour inaptitude sans recherche préalable de reclassement
La Cour de cassation censure la décision des juges du fond. Pour elle, dès lors que l’avis d’inaptitude mentionnait expressément que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur était dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement. Le licenciement pour inaptitude notifié à ce dernier sans recherche préalable de reclassement reposait donc sur une cause réelle et sérieuse.
A noter : La Cour de cassation fait ici application, dans une affaire où l’inaptitude du salarié est d’origine non professionnelle, de la solution qu’elle avait déjà adopté en 2023 dans une affaire où l’inaptitude du salarié était d’origine professionnelle. Elle lève ainsi toute incertitude quant à une différence d’interprétation qui aurait pu exister entre les articles L 1226-2-1 et L 1226-12, eu égard à leur rédaction, qui diffère quelque peu. Si le second article précise que l’état de santé du salarié doit faire obstacle à tout reclassement dans l’emploi pour que l’employeur puisse rompre le contrat d’un salarié sans recherche préalable de reclassement, le premier précise qu’il doit faire obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Cette solution semble d’autant plus logique qu’en principe l’avis d’inaptitude est rédigé par le médecin du travail sur un formulaire dont le modèle, diffusé par l’arrêté MTRT1716161A du 16 octobre 2017 (JO 21), comporte un bloc « cas de dispense de l’obligation de reclassement (articles L 1226-2-1, L 1226-12 et L 1226-20 du Code du travail) ». Ce bloc contient deux cases à cocher, correspondant aux deux cas de dispense prévus par la loi, peu important que l’origine de l’inaptitude soit professionnelle ou non : « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Cass. soc. 12-6-2024 n° 23-13.522 F-B, Sté Manufacture française des pneumatiques Michelin c/ V.
L’@ctualité en ligne, www efl.fr 17/06/2024