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Les agriculteurs prennent leur place dans les enjeux sociétaux

Les agriculteurs prennent leur place dans les enjeux sociétaux

Une enquête menée auprès de quatre-vingts éleveurs dévoile quatre façons de réagir quand la pression sociétale augmente : communiquer, vendre, entreprendre et s’harmoniser.

Les enjeux sociétaux font désormais partie du métier des agriculteurs, mais tout le monde ne les vit pas de la même façon. Deux sociologues, mandatées par trois instituts techniques, ont mené en 2023 une enquête de terrain auprès de 80 éleveurs, toutes filières confondues, en région Bretagne, Pays de Loire et Centre Val de Loire. La particularité de ce travail est de déplacer le regard habituellement porté sur les relations entre la société et les agriculteurs. Au lieu de donner une cartographie des enjeux, il se recentre sur la façon dont les agriculteurs vivent leur rôle dans la société.

Société et changements

« Le terme ‘attentes sociétales’ induit un déséquilibre. C’est comme si la société voulait quelque chose et que les agriculteurs étaient réduits à répondre à ces vœux. En réalité, c’est différent. C’est pour ça que je préfère parler d’enjeux sociétaux, dans lesquels les agriculteurs sont partie prenante, et de controverses sociétales, à propos des modes d’élevage par exemple, qui impliquent plusieurs acteurs, dont les agriculteurs », précise Manon Fuselier, ingénieur d’étude à l’Idele, qui pilote ce projet d’étude.

À partir de ces entretiens, Elsa Delanoue, sociologue auprès des instituts techniques des élevages de ruminants (Idele), porcins (Ifip) et avicoles (Itavi), construit une typologie des perceptions qu’ont les éleveurs de leur métier et de ses changements en lien avec les enjeux sociétaux.

« Nous avons identifié deux dimensions qui permettent de structurer les réponses, explique-t-elle. D’un côté, l’attitude vis-à-vis du changement. Certains agriculteurs sont plus hésitants alors que d’autres sont plus proactifs, et sont en mouvement permanent. De l’autre côté, le deuxième axe traduit les liens avec la société. Certains agriculteurs se positionnent au cœur de la société et se considèrent eux aussi comme des citoyens. Au contraire, d’autres ont plutôt tendance à bien séparer l’élevage du reste de la société. Quand ils parlent de « la société », ils ne s’y incluent pas. »

Quatre profils

En croisant ces axes, la sociologue identifie quatre profils. Bien sûr, cette typologie est incomplète. Il manque le profil des agriculteurs qui ne se sentent pas concernés par les enjeux sociétaux. Elle ne traduit pas la complexité des situations mais elle permet de clarifier la pensée.

Ces profils sont donc au nombre de quatre :

– Les animaliers communicants ;

– Les commerçants contraints ;

– Les entrepreneurs flexibles ;

– Les paysans citoyens.

Du fait des commanditaires de l’étude, les profils ont été établis à partir des éleveurs interrogés mais les producteurs de végétaux et les polyculteurs-éleveurs peuvent facilement se retrouver dans certains d’entre eux. Et, bien sûr, comme pour tout classement, chaque individu ne peut pas se résumer à de telles catégories, créées pour structurer la pensée.

À chacun ses motivations

– Les animaliers communicants font résider le sens de leur métier en très grande priorité dans le soin qu’ils apportent aux animaux. Ils apprécient la flexibilité offerte par le métier. Mais ils sont agacés par le battage médiatique autour des modes d’élevage, qu’ils entendent comme un manque de reconnaissance de leur savoir-faire. Ils communiquent beaucoup sur leurs pratiques afin de montrer que le mode conventionnel d’élevage coche déjà beaucoup de cases pour le bien-être animal.

– Les commerçants contraints ont un atelier de vente directe qui constitue le sens dans leur métier. Ils ne souffrent pas d’un manque de reconnaissance parce que cet atelier leur offre un lien direct avec le consommateur qui, à son tour, apporte un retour positif sur les produits. Ce sont des gens passionnés par le fait de produire des aliments du début à la fin pour nourrir leurs concitoyens. En retour, leur charge de travail et leur charge mentale vont peser sur leur moral. Pour les exploitants en fin de carrière, elles peuvent freiner la transmission des structures.

– Les entrepreneurs flexibles trouvent dans la technique ce qui donne sens à leur métier. Ils sont toujours en recherche d’optimisation de leur système pour le rendre le plus performant possible. Leur relation avec les consommateurs passe par les labels, les cahiers des charges privés ou le Label rouge. Ils travaillent aussi beaucoup et ne le vivent pas comme une contrainte mais, au contraire, comme des opportunités de marché. Le changement voulu par les attentes sociétales ne leur fait pas peur. Ils peuvent passer d’une filière à une autre et n’hésitent pas à faire des tests.

– Enfin, les paysans citoyens trouvent leur épanouissement dans une pratique holistique de leur travail, c’est-à-dire qu’ils font partie du territoire, et qu’ils voient le métier comme un tout et un mode de vie. Ils recherchent en priorité un équilibre entre leur vie privée et leur engagement public. Ils sont impliqués dans des réseaux citoyens. Ils estiment légitimes les attentes sociétales et s’y engagent à leur tour par conviction.

Le sens du travail

En fait, les réponses des agriculteurs reviennent à s’interroger sur ce qui donne du sens au travail. « La première chose qui fait sens pour les éleveurs, ce qui est une source de leur épanouissement, c’est la relation avec les animaux et la nature, explique Caroline Depoudent, chargée d’étude sur le travail à la chambre d’agriculture de Bretagne. Elle se traduit par l’amour de la traite, du soin aux animaux, l’excellence technique mais aussi de se revendiquer comme étant un acteur du paysage et du territoire. »

L’autre aspect qui donne du sens au métier, c’est son utilité sociale. Elle s’exprime quand les agriculteurs s’affirment comme étant ceux qui nourrissent la société, ainsi que dans les relations humaines avec les salariés ou les consommateurs. « Enfin, ce qui plaît beaucoup dans le métier d’agriculteur, c’est l’autonomie de décision, la capacité d’organiser son travail dans la journée, et, pour le plus long terme, de faire des choix pratiques qui s’inscrivent dans une progression de la structure. Il est satisfaisant d’avoir quelque chose de tangible à présenter », poursuit Caroline Depoudent.

Inquiétudes

Bien sûr, tout cela ne va pas sans difficultés. La quantité de travail, les inquiétudes quant au revenu, l’obligation de devoir penser à tout, notamment à cause du travail administratif… Ces angoisses ont été amplement exprimées pendant les manifestations agricoles de février 2024. D’ailleurs, pour la plupart des agriculteurs interrogés fin 2023, les attentes sociétales passaient derrière des enjeux concrets et immédiats.

« Mais ces enjeux peuvent devenir une sorte de caillou dans la chaussure, rapporte Caroline Depoudent. Cette gêne s’exprime par une inquiétude pour la reprise des fermes ou un sentiment d’être dénigrés. Quand on en parle, il y a beaucoup de choses qui ressortent. »

La suite de ce travail consiste dans l’immédiat à quantifier les différents profils. Un questionnaire a été élaboré pour vérifier dans quels profils les éleveurs se placent. 900 agriculteurs ont répondu et les travaux de synthèse sont en cours de route. À plus long terme, l’intention des chercheuses est de faire le lien entre ces profils et la capacité à changer les pratiques agricoles.

« On se rend compte que les éleveurs ne se voient pas tous pareils dans leur rapport à la société, explique Manon Fuselier, qui commence son travail de thèse sur cette question à l’université de Rennes. Pour caricaturer, certains se sentent circonscrits au monde agricole. Ils perçoivent les attentes sociétales comme des injonctions externes auxquelles il est légitime de résister. De ce fait, il est plus difficile de changer rapidement. D’autres se vivent comme un élément d’une société globale. Là, le changement est plus facile parce qu’il répond à une conviction. »

Site LaFranceAgricole – Actualités – 20/05/2024

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