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Ordre des experts comptables
Donner ses données, mais pas à n’importe quel prix

Donner ses données, mais pas à n’importe quel prix

Le volume des données émises par le secteur agricole va continuer à croître dans les prochaines années. Une tonne d’informations dont l’agriculteur n’a pas toujours la maîtrise de son accès et de son partage.

« Le secteur agricole est le deuxième fournisseur de données en France et en Europe. Rien qu’une station météo par exemple, permet de récupérer 6 données tous les quarts d’heure », observe un chargé de projets pour l’innovation et le numérique à la chambre d’agriculture de l’Eure-et-Loir lors de son intervention au trente-huitième congrès de l’Association française de droit rural qui s’est tenu à Laval les 6 et 7 octobre 2023. Un volume qui sera exponentiel. « On estime dans les années à venir qu’il y aura une dizaine d’objets connectés sur chaque exploitation. »

La propriété n’est pas la question essentielle

Dans cette dynamique où les exploitations agricoles ne produisent plus seulement des aliments, mais également des données, la question de leur propriété a été formulée à plusieurs reprises lors du congrès. Pour les experts présents, ce n’est pas la question essentielle. Le nœud du problème se concentre dans leur accès et leur partage.

« Les machines émettent des données qui partent chez le constructeur auquel souvent l’agriculteur n’a pas accès », illustre un agroéconomiste et membre de l’Académie d’agriculture de France. Une transmission des données auquel l’agriculteur consent sans avoir trop le choix lorsqu’il acquiert l’outil. « Si vous ne cochez pas cette case, c’est simple : vous ne pouvez pas vous servir du tracteur ou du robot », résume le président de la chambre d’agriculture de la Mayenne.

Le constructeur a la main mise

Et le lien avec le constructeur est inextricable, comme l’explique un doctorant et membre de la chaire de droit et des transitions sociétales. Il illustre ce point par un évènement qui s’est déroulé durant la guerre en Ukraine et dont les faits ont été décrits en mai 2022 dans un article publié par CNN. Les Russes avaient volé chez un concessionnaire John Deere qu’ils occupaient à Melitopol, plusieurs matériels agricoles dont des moissonneuses-batteuses avant de les transporter jusqu’en Tchétchénie. Mais les équipements se sont avérés inutilisables. Le concessionnaire avait pu verrouiller à distance les engins.

« Le lien entre le vendeur et l’acheteur permet au constructeur d’avoir la mainmise sur les données, ajoute le doctorant et membre de la chaire de droit et des transitions sociétales. Depuis 2015, les agriculteurs américains ont intenté des actions en justice, mais le constructeur a toujours opposé son droit de propriété industrielle, car le logiciel n’est pas cédé mais loué. Ce qui lui permet de chez lui, d’avoir accès aux données de l’agriculteur, de les traiter et de les revendre aux mêmes agriculteurs très cher. »

Un schéma aussi rencontré en élevage comme en témoigne un ingénieur agronome agroeconomiste. « Cela fait très longtemps que les agriculteurs payent leurs données génétiques deux fois. Une fois quand il paye le contrôle laitier quand il prend les données, et une deuxième fois quand ils achètent les paillettes. »

« La question de la contrepartie peut se poser »

Un professeur agrégé de droit privé à l’Université de Caen, distingue deux types de données transmises aux constructeurs ou aux fournisseurs du service. « Celles qui sont nécessaires à l’exécution du contrat pour la fourniture du service, et celles qui sont collectées à cette occasion mais qui ne sont pas nécessaire à l’exécution du service. Ce sont celles-ci qui posent des difficultés et où la question de la contrepartie peut se poser. »

C’est une contrepartie financière qui n’est pas forcément prévue lorsque l’agriculteur signe la clause de transmission ou de cession des données non nécessaires au service. « Nous pourrions imaginer que le législateur introduise un certain nombre de dispositions en prévoyant des clauses abusives, mais ce n’est pas ce qui est retenu. Le régime des clauses abusives est très limité. L’approche retenue est celle de permettre l’accès aux données en rétablissant l’équilibre par une mise à disposition des données », explique l’universitaire.

« Je ne peux me résigner à penser que la valeur d’usage de la donnée est de zéro, témoigne une agricultrice et membre de l’Académie d’agriculture de France. Si je ne travaille pas, que ma vache ne produit pas, que le tracteur n’est pas dans le champ, il n’y a pas de donnée. Il faudrait quand même que les agriculteurs récupèrent un petit peu de la valeur d’usage. »

Des start-ups qui se renferment

Un autre souhait exprimé par du chargé de projets pour l’innovation et le numérique à la chambre d’agriculture de l’Eure-et-Loir est celui de l’interopérabilité des données. « Nous avons réalisé un travail avec des agriculteurs sur leur perception de la data, de son échange, et de sa propriété. Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y a pas de problème sur la propriété. Ce qui les intéresse, c’est que la data soit partagée, transmise de façon simple et efficace. Ils se demandent si leurs capteurs vont pouvoir discuter ensemble afin de leur permettre d’avoir un tableau de bord avec l’ensemble de leurs données leur affichant plusieurs indicateurs permanents afin de leur permettre de définir le travail de la journée. »

Le chargé de projets à la chambre d’agriculture de l’Eure-et-Loir prend pour exemple un exploitant qui aurait un capteur de température de stockage de ses grains qui ne serait pas de la même marque que sa station météo. « Il va avoir besoin de la température extérieure prise par sa station météo qui n’est pas de la même marque que sa sonde. Or, en général ces deux capteurs ne vont pas pouvoir discuter ensemble. » Une division des informations qui ne facilite pas leur usage.

« Nous voyons de plus en plus de start-ups qui grossissent dans un modèle renfermé sur elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles vont contraindre l’agriculteur à rester dans leur écosystème, regrette le chargé de projets pour l’innovation et le numérique à la chambre d’agriculture de l’Eure-et-Loir. C’est un danger pour le monde agricole qui restera cloisonné dans le silo de telle ou telle marque. Il n’y a pas cette interopérabilité qui est tant nécessaire pour l’agriculture. »

Site LaFranceAgricole – Actualités 17/10/2023

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