La préemption des terres agricoles bientôt opérationnelle.
Un Décret du 10 septembre 2022, nécessaire à la mise en œuvre du droit de préemption dans les aires d’alimentation des captages d’eau potable a été publié le 11 septembre 2022, plus de deux ans et demi après la création du mécanisme par la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (C. urb., art. L. 218-1 et s., créés par L. n° 2019-1461, 27 déc. 2019 : JO, 28 déc.). Sa publication permet à l’Etat d’échapper à une condamnation pour méconnaissance du délai raisonnable imparti pour édicter un acte d’application de la loi ; néanmoins, la date du texte règlementaire est révélatrice des difficultés rencontrées par le Gouvernement alors même que la loi avait déjà largement œuvré pour définir le champ d’application et le régime juridique du nouveau droit de préemption. A l’issue de la consultation publique organisée sur une première version du décret, c’est finalement une seconde écriture qui est retenue. L’opposition de la profession agricole pour qui ce droit de préemption constitue « une nouvelle atteinte à la liberté d’entreprendre » (griefs formulés lors de la deuxième consultation) explique cette temporisation tout autant que les ajustements législatifs opérés par loi « 3DS » du 21 février 2022 à propos des titulaires de la prérogative de préemption et des modalités de gestion des biens acquis (L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 191 : JO, 22 févr.).
Ce texte, d’application immédiate, comporte les quelques précisions indispensables s’agissant de la procédure d’instauration du nouveau droit de préemption, de sa purge et de la gestion ultérieure des biens. Toutefois, l’opérationnalité du dispositif est encore suspendue à la publication de l’arrêté ministériel qui définira le contenu de la déclaration d’intention d’aliéner que devra souscrire le cessionnaire du bien agricole ou son mandataire… Il sera alors enfin possible de préempter dans les 33 000 aires d’alimentation des captages qui n’intègrent pas plus de 8 % de la surface agricole utile.
L’usage du droit de préemption par les communes, leurs groupements ou encore les syndicats mixtes investis de compétences en matière de préservation de la ressource en eau suppose son instauration préalable par le préfet (C. urb., art. R. 218-1 nv). Le décret du 10 septembre 2022 précise à cette fin la procédure à suivre. Les titulaires potentiels de la prérogative d’acquisition en priorité doivent, en premier lieu, solliciter le préfet en lui adressant un dossier comportant un plan du périmètre de la future zone de préemption, une étude hydrogéologique de l’aire d’alimentation du ou des captages, une présentation des pratiques agricoles en vigueur, des actions mises en œuvre par le responsable de la distribution d’eau potable et d’autres plans d’action ainsi que leurs résultats respectifs, puis un exposé des motifs d’instauration du droit de préemption (C. urb., art. R. 218-2 nv). Si le préfet estime le dossier complet et suffisamment documenté, il engage dans les 15 jours qui suivent une procédure complexe de consultations. Sont en effet sollicitées pour avis simple : la ou les communes dont une partie du territoire est concernée par la future zone de préemption, les chambres départementale et régionale d’agriculture et la SAFER territorialement compétentes, le comité départemental de l’environnement, des risques sanitaires et technologiques (CODERST) et la commission locale de l’eau ; le préfet doit aussi consulter les bénéficiaires publics de droits de préemption instaurés pour préserver des captages, antérieurement à la demande qu’il instruit ainsi que les collectivités en charge du service public de distribution d’eau potable dont l’aire d’alimentation se superpose à celle qui fait l’objet de la demande. Les consultés disposent d’un délai de 45 jours pour faire connaitre leur position et le silence conservé vaut classiquement avis favorable (C. urb., art. R. 218-4 nv).
La décision d’instauration intervient dans un délai maximal de 6 mois, le préfet ayant au préalable communiqué son projet d’arrêté au demandeur (lequel disposera de 15 jours pour faire valoir des observations écrites). L’arrêté motivé désigne le titulaire du droit de préemption et le périmètre concerné ; il précise, en respectant la chronologie d’instauration, l’ordre de priorité d’exercice des droits de préemption relevant de personnes publiques distinctes dans l’hypothèse où un même bien est inclus dans plusieurs aires d’alimentation (C. urb., art. R. 218-7 nv). Le législateur a, en revanche, choisi de faire primer le droit de préemption urbain, la zone d’aménagement différé et le droit de préemption des espaces naturels sensibles sur le nouveau droit de préemption (C. urb., art. L. 218-4). Cette priorité peut se justifier par la finalité écologique du droit de préemption « ENS » qui vise à conserver la biodiversité (C. urb., art. L. 215-1) et la possibilité d’utiliser le droit de préemption urbain dans les périmètres de protection rapprochée des captages, les zones de rétention temporaires des eaux de crues ou ruissellement, les zones de mobilité du lit mineur des cours d’eau et les zones humides stratégiques pour la gestion de l’eau (C. urb., art. L. 211-1 ; C. envir., art. L. 211-12). Elle est, cependant, plus surprenante s’agissant de la Zad dont la finalité reste exclusivement l’aménagement, but a priori peu compatible avec l’objectif de la préservation d’une aire d’alimentation. Il faut au surplus noter que le préfet peut décider de rejeter la demande d’instauration du droit de préemption, le décret mentionnant expressément cette possibilité de refus (C. urb., art. R. 218-5 nv).
Le législateur avait procédé dès 2019 à l’identification des biens et des mutations inclus dans le champ d’application de la préemption, en l’occurrence les aliénations à titre onéreux des biens agricoles déjà exposés à la préemption des SAFER, ces dernières étant ipso facto reléguées à un rang de préempteur subsidiaire (C. urb., art. L. 218-5 et L. 218-6). Le texte du 10 septembre 2022 se contente donc de préciser l’exercice de la préemption en cas d’aliénation par adjudication (C. urb., art. R. 218-13 à R. 218-14 nv) ainsi que les conséquences de la demande d’emprise totale que le vendeur peut opposer au préempteur en cas de préemption partielle : faute de réponse favorable parvenue au notaire, dans les 30 jours, le silence du préempteur vaut renonciation et rétractation (C. urb., art. R. 218-17 nv).
Le principal apport du décret consiste à préciser la liste des documents que le titulaire du droit de préemption peut solliciter pour s’informer davantage sur les caractéristiques du bien telles que les servitudes, sûretés, obligations réelles environnementales (ORE) qui le grèvent mais aussi les baux dont il fait l’objet, les équipements techniques installés pour l’irrigation ou le drainage ou encore les justificatifs du fonctionnement de la société civile immobilière propriétaire. Treize catégories différentes de pièces peuvent être sollicitées en une seule demande qui emporte suspension automatique de la computation du délai de préemption (C. urb., art. R. 218-12 nv). Celui-ci, conformément à la mécanique prévue par la loi « ALUR » en 2014, ne recommence à courir qu’à compter de la réception complète des documents. Parmi les pièces visées, certaines semblent de nature à faire douter de l’utilité de la préemption : c’est particulièrement le cas pour les biens grevés d’une ORE ou déjà l’objet d’un bail comportant des clauses environnementales définies pour préserver la qualité de l’eau ou y concourant. Dans ces circonstances, la plus-value attendue d’une préemption paraît d’autant plus relative que la passation d’un bail environnemental est imposée pour la gestion ultérieure du bien et qu’une ORE devra être mise en place en cas de revente (C. urb., art. L. 218- 13, al. 2 et al. 3). Inversement, la fourniture d’informations techniques relatives à un drainage, à l’existence de dispositifs d’irrigation par forage peuvent, au vu de leurs conséquences sur les captages d’eau potable, constituer l’élément déclencheur de la préemption….
Enfin, ce Décret impose le recours à un appel de candidatures préalablement à la passation d’un bail et à la revente du bien préempté (C. urb., art. R. 218-19 nv) ; il prévoit aussi logiquement, pour garantir l’usage agricole requis par l’article L. 218-13 du code de l’urbanisme, la possibilité de mettre les biens acquis à la disposition de la SAFER selon le modèle prévu par le code rural (C. urb., art. R. 218-20 nv ; C. rur., art. L. 142-6).