Dans une lettre adressée à la France le 31 mars dernier, la Commission européenne chargée de la validation des plans stratégiques nationaux (PSN) proposés par les États membres dans l’objectif de décliner la prochaine politique agricole commune pour la période 2023-2027, lui fait part de ses observations. La France, qui disposait de trois semaines pour réagir à ce courrier et notamment intégrer dans le PSN les conséquences de la guerre en Ukraine, a élaboré une réponse intermédiaire dans un courrier du ministre de l’agriculture du 22 avril.
Les observations argumentées de la Commission européenne
La Commission européenne invite le gouvernement français, comme les autres États membres, à revoir son Plan Stratégique national (PSN) en tenant compte du contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui a pour effet, notamment, de provoquer une flambée généralisée des produits de base, mais en tenant compte également des crises climatiques et de la biodiversité. A ce titre, elle demande que soient retenus trois objectifs visant à :
– renforcer la résilience du secteur agricole de l’Union européenne ;
– réduire sa dépendance aux engrais de synthèse et augmenter la production d’énergie renouvelable ;
– transformer sa capacité de production en favorisant des méthodes de production plus durables.
Tout en relevant que le PSN de la France couvre tous les objectifs de la PAC et présente une logique d’intervention claire ainsi qu’une véritable simplification par rapport à la période de programmation 2014-2022, la Commission, dans ce courrier accompagné d’une annexe de 34 pages, ne ménage pas ses critiques sur plusieurs points clés.
Tout d’abord, concernant le ciblage des aides, la Commission invite la France à réévaluer à la hausse l’ambition du plan en vue d’une redistribution équitable et d’un ciblage plus efficace des aides au revenu.
La Commission considère également que le PSN français « ne permet d’accompagner que partiellement la transition écologique du secteur agricole et forestier ». A ce sujet, la Commission s’interroge sur la pertinence de la logique d’intervention sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre déclarée comme besoin prioritaire alors que le PSN ne fixe aucun résultat à atteindre pour la réduction des émissions du secteur de l’élevage, n’accorde pas une priorité suffisante aux besoins en matière de stockage de carbone et n’apporte pas suffisamment de précisions sur les choix proposés en matière d’adaptation des exploitations agricoles au changement climatique.
Quant à la protection des ressources naturelles, la Commission invite la France à apporter des précisions sur les moyens dont elle entend se doter pour atteindre l’objectif d’une meilleure protection de l’eau et de gestion des nutriments. Sur la protection de l’eau et la lutte contre les pollutions agricoles, la Commission relève des efforts perceptibles mais regrette que les moyens proposés ne soient pas à la hauteur de ces enjeux prioritaires. Quant à la préservation de la biodiversité, elle regrette que la France présente les plus faibles densités d’éléments paysagers de l’Union européenne et n’ait pas fixé d’objectif concernant les surfaces favorables à la biodiversité. Elle l’invite à reconsidérer ce choix. Elle s’inquiète, en outre, du retournement des prairies permanentes autorisé par le PSN. Aussi, la Commission demande de mieux prendre en compte le « cadre d’actions prioritaires » défini par les directives européennes (notamment les directives 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et 2009/147/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages) et d’assurer une cohérence du PSN avec ces textes.
La Commission demande que soient renforcés les choix opérés pour la conditionnalité ainsi que pour les éco-régimes et que la France reconsidère la part des financements dédiés aux mesures agro-environnementales. Elle estime nécessaire de clarifier, voire modifier, le PSN en ce qu’il ne respecte pas pleinement le cadre réglementaire, concernant notamment certaines normes de bonne condition agricole et environnementale qu’il s’agisse de la rotation des cultures ou de la certification haute valeur environnementale (HVE) dans le cadre de l’éco-régime. Ainsi, la certification HVE mise en place par la France, qui permettrait aux agriculteurs d’accéder aux éco-régimes, ne devrait pas, selon la Commission, offrir un même niveau de rémunération que l’agriculture biologique « alors que son cahier des charges « est beaucoup moins contraignant ». Plus globalement, la Commission fait part de sa préoccupation quant à la conception de l’éco-régime et au faible niveau d’ambition environnementale et climatique proposé. Elle propose un troisième niveau de paiement récompensant les agriculteurs pour l’adoption de pratiques les plus vertueuses ainsi qu’un bonus spécifique aux zones Natura 2000 ou aux habitats des espèces visées par les directives Nature.
Les dispositions du PSN relatives à l’agriculture biologique font l’objet, par ailleurs, de réserves importantes de la Commission en ce qu’elles prévoient la suppression de l’aide au maintien en agriculture biologique (sauf dans les DOM) et présentent un risque de déconversion à partir de 2023. Il en est de même des moyens engagés pour doubler les surfaces en agriculture biologique à l’horizon 2027, comme le prévoit le PSN qui vise 18 % des surfaces agricoles françaises, alors que selon les calculs de la Commission le plan ne subventionnerait pas plus de 4,8 % de la surface agricole.
En matière de consolidation du tissu socio-économique des zones rurales, la Commission demande de renforcer le ciblage des interventions relatives au renouvellement des générations en promouvant davantage, notamment, l’installation des femmes ou les modes de production soucieux de l’environnement. Elle déplore la diminution du budget dédié aux investissements dans les infrastructures rurales et les services de base ainsi que l’absence de mesures significatives pour améliorer le bien-être animal.
Enfin, elle insiste sur la nécessité d’apporter des réponses claires à l’attente des citoyens en matière de nouveaux espaces de concertation et d’ouverture pour définir des objectifs et des solutions partagées.
La réponse intermédiaire de la France
En retour du courrier du commissaire à l’agriculture et au développement rural, le ministre de l’Agriculture lui a adressé le 22 avril dernier des premiers éléments de réponse avant une réponse plus détaillée observation par observation qui interviendra ultérieurement.
En premier lieu, le ministre a tenu à rappeler l’attachement de la France au respect de l’accord équilibré trouvé entre les institutions européennes en 2021 sur la réforme de la PAC. Tout en s’engageant à considérer les non-conformités dès lors qu’elles sont avérées, il s’interroge sur le positionnement en opportunité de la Commission étant entendu que la nouvelle PAC est de laisser une plus grande subsidiarité aux États membres.
Le ministre considère que le PSN doit faire l’objet d’une analyse prenant en compte l’ensemble des politiques publiques déployées par la France en ce qu’elles répondent à certains enjeux portés par le Pacte Vert, le PSN intervenant en synergie avec d’autres leviers : plan de relance initié en 2021, lois nationales concourant à l’amélioration du revenu des agriculteurs, réforme des outils de gestion des risques climatiques initié dans le plan de relance.
Il ajoute que d’autres mesures prises par la France contribuent aux objectifs visés par le Pacte Vert, qu’il s’agisse de la revalorisation du crédit d’impôt bio et sa prolongation, de la mise en œuvre d’une politique en faveur de la captation du carbone dans le sol ou d’autres engagements pris au plan législatif ou réglementaire en matière d’interdiction de certaines substances actives, de redistribution d’utilisation des antibiotiques et de bien-être animal notamment.
Par ailleurs, l’analyse du PSN devrait prendre en compte le contexte ukrainien, insiste le ministre. A cet égard, il soutient que les orientations prioritaires du PSN français sont pertinentes pour concilier production et protection.